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dimanche 28 octobre 2012

Des grous et des couleurs…


Ma mère se souvient avoir vu sa mère à elle, ma Grand-mère Gustine donc, manger des grous.

Par la tournure de sa phrase, il s’en déduit qu’on n’en mangeait plus guère après la Guerre et d’ailleurs je n’en ai jamais entendu parler dans mon enfance.

Pour en avoir le cœur net, j’ai mené des recherches, et j’ai fini par trouver des petites choses sur la questions des grous.

Les grous sont liés à l’usage du sarrasin.

Voici donc, après un petit rappel sur cette plante, quelques éléments de recettes sur les grous.

Bien qu'il soit considéré comme tel dans l'utilisation qu’on en fait, le sarrasin n'étant pas une céréale, il n’est donc pas une variété de blé, même s'il est aussi appelé blé noir, parfois blé de barbarie (on le trouve aussi sous l’appellation « bucail » ou « bucaille »). 

Le sarrasin est une plante de la famille des polygonacées qui compte dans ses rangs l'oseille et la rhubarbe. Elle est originaire de l'Asie centrale et était très consommée par la population musulmane d'Orient. D'où son nom de Sarrasin.

Le sarrasin est cultivé en Europe depuis la fin du 14ème siècle.

Ses grains très foncés donnent, une fois moulus, une farine grise finement piquetée de noir.

Le sarrasin est resté une des bases de l'alimentation en Bretagne et en Normandie jusqu'à la fin du 19ème siècle, ainsi que dans le nord et l'est de l'Europe.

La consommation à base de sarrasin la plus connue est bien entendu celle de la galette.

Quand on décidait d’en faire, on préparait parfois beaucoup de pâte. Le premier jour, on fabriquait effectivement des galettes.

Puis le second jour, on prenait le restant de la pâte et on le cuisait. La bouillie s’épaississait à la cuisson que l’on arrêtait quand la consistance en devenait suffisante. On servait cette préparation dans son récipient de cuisson, en ayant fait un creux au milieu de la pâte cuite, où l’on déposait une grosse noix de beurre (salé bien entendu).

Chacun venait alors prendre une cuillerée de bouillie qu’il trempait dans le beurre fondu. Un petit coup de cidre là-dessus pour faire descendre…

S’il restait de cette « pâtée », on se gardait bien de la jeter et on la mettait de côté pour le lendemain…

Le troisième jour ainsi, on découpait des petits morceaux de grous. Puis on les mettait à « fricasser » dans une poêle. Ils servaient par exemple d’accompagnement à un morceau de viande ou de saucisse.

J’ai déjà évoqué dans un post précédent l’ouvrage du grand Paul Sébillot intitulé « Coutumes populaires de la Haute-Bretagne », ouvrage anthropologique de grande qualité et de grande rigueur paru en 1886. Ce libre traite surtout des us et coutumes du pays Gallo d’Ile-et-Vilaine, mais on y retrouve bien des descriptions d’usages en vigueur par chez nous encore au milieu du XXème siècle, voire plus récemment.

Il consacre notamment un chapitre aux habitudes de table des paysans gallos (il appelle cela les mœurs « épulaires », et j’ai appris ce mot…). En voici quelques extraits relatifs aux galettes et aux grous dont ma mère m’a signalé avoir été témoin :

« C’est ordinairement la maîtresse de la ferme qui est chargée de la fabrication de la galette, et au moment des grands travaux, elle s’y prend dès la veille. La personne chargée de la galette ne se dérange pas, en général. En certains pays, elle est presque constamment à genoux ; ailleurs elle est assise.

La pâte est versée au moyen d’une écuelle sur une plaque ronde en fer battu,qu’on nomme […] galetier. [] On l’étend à l’aide d’un petit râteau de bois qui porte le nom de rouable.

[…] On pose [les galettes cuites] sur une sorte de gril en bois placé sur la table de la ferme, et qui s’appelle hèche ; une héchée, c’est l’ensemble des galettes qui ont été préparées par la femme chargée de ce soin.

C’est sur la héchée que les gens de la ferme viennent prendre les galettes ; s’ils les mangent avec du lait, ils les déchirent avec les mains et les mettent dans le lait, toutes chaudes ; cela fait une espèce de potage.

On beurre aussi les galettes, et on les mange sans apprêt.

Lorsqu’elles sont froides, on les réchauffe sur la poêle « à la tripe », c’est-à-dire en morceaux ou entières, avec du beurre roux, ou simplement sur le trépied ou sur les charbons. On s’en sert en guise de pain pour manger de la viande froide, surtout du lard, de la saucisse chaude, ou des pommes cuites.

On casse aussi des œufs, et on les jette sur la galette à moitié cuite, où ils forment une sorte d’omelette.

[…] La bouillie de blé noir, suivant les pays, s’appelle grous, lites, peux. Ce mot est toujours employé au pluriel.

Elle se compose de farine de blé noir, délayée dans de l’eau, avec un peu de sel ; on la remue pendant un quart d’heure. On dit que pour être bien cuits les grous doivent vêner (vesser), c’est-à-dire éclater, neuf fois.

[…] Comme toutes les bouillies, celle de blé noir est mangée habituellement dans le vase où elle a été faite : c’est une casserole ou un bassin. Au milieu on met à fondre un morceau de beurre, où chacun vient tremper sa cuillerée de bouillie.

On en prend aussi des morceaux de la grosseur d’un œuf, et on les met dans une écuellée de lait, soit doux, soit baratté, soit dans du lait cuit.

On fait aussi frire dans la poêle des tranches de bouillie froide, qui sont coupées en carré ou tranches minces qui rappelaient assez par leur forme des petites soles. Aussi les nomme-t-on plaisamment des « soles de guéret ». »


Je voudrais conclure ce long post par un souvenir personnel qui se veut un hommage.

Quand j’étais enfant, La Hyonnais où nous demeurions se trouvant à un bon gros kilomètre du Bourg, j’allais à vélo faire les courses (le pain avec un tendeur sur le porte-bagages, le reste dans les sacoches). On achetait les galettes toujours au même endroit, c’est-à-dire chez Odette Leroux, rue de la Poste, entre la rue de Mirette et la rue de Beslé, en face de la rue de la Chevauchardais.

Je ne sais si quelqu’un se souvient d’Odette Leroux. C’était une vieille dame à la retraite, douce, avec des lunettes et des cheveux gris blancs ondulés, une sorte de mamie Nova des galettes. Elle avait une petite voix fluette du genre à aimer les enfants. Je n’y étais pas insensible. D’ailleurs, je ne l’ai pas oubliée.

Elle faisait son métier de galettière chez elle. On montait deux marches, peut-être, et on se retrouvait, passée une petite entrée, dans son petit temple du blé noir. La pâte était dans une « jatte » dont le nom m’a toujours semblé si approprié, sait-on pourquoi, à ces récipients de terre vernissés.

Il fallait attendre un peu pour la commande. Je n’ai pas le souvenir que c’était parce qu’il y avait du monde, mais probablement parce qu’elle faisait les galettes à la demande. Mais cette attente était compensée par son babil perché et l’odeur chaude et prometteuse des galettes sur la pierre du réchaud à gaz.

Il n’y a plus d’Odette Leroux. Voici cependant des adresses de sites où l’on trouve des recettes de grous :




Bon appétit !

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