Rechercher dans ce blog

samedi 10 août 2013

Il fallait Heuzé !


Tandis que Louis-Napoléon continue de berner les Français et poursuit sa marche vers l'Empire (le second bien sûr) ; tandis que les élus municipaux de Guémené n'en finissent plus, avec la même conviction à chaque fois, de prêter serment au Président, au Prince-Président et bientôt à l'Empereur, l'année 1851 s'annonce égale à elle-même et surtout aux années précédentes, pour les quelques 4.600 guémenois, malades et infirmes compris.

Pourtant, le destin mijote aux habitants des villages et des bourgs de la commune et des communes environnantes un coup bien terrible, sous la forme d'une épidémie dont la nature demeure inconnue.

L'importance du phénomène peut s'appréhender à la lecture du graphique ci-dessous :


J'y ai représenté pour les années 1848 à 1855 le nombre annuel de décès constatés à Guémené, mais aussi dans les communes avoisinantes de Plessé, Avessac, Derval, Pierric, Conquereuil, Marsac et Le Gâvre.

Il n'est pas besoin d'être très fort en statistiques pour s'apercevoir que l'année 1851 présente un pic de décès très marqué, dans toutes ces communes, mais particulièrement à Guémené, Plessé et Avessac.

A Guémené, par exemple, il y a ordinairement moins de 100 décès annuels et les valeurs relevées toutes les années sont toutes très proches les unes des autres : c'est donc la situation normale, pour cette période. Sauf justement en 1851. 

La surmortalité de 1851 représente 140% de morts en plus par rapport à la norme. Et c'est en gros pareil à Plessé, Avessac et le reste des communes étudiées.

Cette surmortalité survient de façon très brutale et se concentre sur 3 mois : août, septembre et octobre 1851.

A Guémené, on compte ordinairement 7 à 8 décès en moyenne par mois. Et c'est d'ailleurs ce qui s'observe encore de janvier à juillet 1851 et de novembre à décembre de cette même année.

Mais les choses se corsent en août : après 10 décès en juillet, on passe en effet à 82 ! Puis septembre en produit encore 66, mais la décélération est en cours puisque octobre n'en compte plus que 23.

Ces trois mois concentrent 70% de la mortalité de 1851 à Guémené.

Pour aller plus loin, j'ai essayé de comprendre quelles étaient les victimes de cette épidémie.

Pour ce faire, j'ai regardé la répartition des décès de 1851 à Guémené, par classe d'âge, en distinguant les 3 mois de l'épidémie des 9 autres mois (normaux) de l'année. Le résultat est présenté sur le second graphique ci-après :



En bleu, le nombre de décès des 9 mois normaux ; en violet, le nombre de décès des 3 mois épidémiques. Chaque paire de bâtons bleus et violets est associée à une classe d'âge : moins de 1 an, de 1 à 3 ans, de 4 à 8 ans, etc...

Lors des 9 mois normaux (bleus), les décès sont soit le fait de jeunes enfants, soit le fait de gens relativement âgés. Ainsi, 13 bébés n'ont pas dépassé 1 an, et 17 personnes d'âge compris entre 66 et 76 ans ont quitté ce monde. Aucun jeune de 9 à 25 ans n'est mort (pas de bâtons bleus).

En revanche, l'examen des bâtons violets indique sans ambages que l'épidémie n'épargne aucune classe d'âge au cours des 3 mois fatidiques de 1851, sauf peut-être les classes d'âge extrêmes, les nourrissons et les gens les plus âgés. Mais surtout, elle frappe spectaculairement les enfants de 1 à 12 ans : 79 morts en 3 mois contre 11 en 9 mois !

On se dit qu'un tel séisme à dû laisser quelques traces. Aussi ai-je ensuite parcouru les délibérations du Conseil municipal de Guémené pour cette période. Mais les comptes-rendus sont muets et rien ne semble donc avoir été entrepris par les pouvoirs publics pour lutter contre le mal ou secourir les familles. Pas même la moindre déploration sur la dureté des temps. Fatalitas !

J'ai cherché aussi, mais en vain, si une épidémie était répertoriée à cette date pour cette région : sans doute ces poussées épidémiques faisaient-elles partie de l'ordre des choses. Des remèdes de bonnes femmes, quelques prières, un peu d'encens, une pelletée de terre...et on passe à autre chose.

Il se trouve que cette année 1851 était une année de recensement. Par on ne sait quelle inspiration, on avait demandé aux agents recenseurs de s’intéresser à l'état de santé de la population. On dispose donc de cette photographie intéressante des "maladies ou infirmités apparentes" de la commune.

La bonne nouvelle, c'est que l'on ne dénombrait alors qu'une soixantaine de malades ou infirmes "apparents". Pour la moitié d'entre eux, la nature du mal n'était toutefois apparemment pas très claire...Ainsi 29 de ces malheureux sont affligés d'un mal non identifié.

En revanche, on dispose des éléments précis pour l'autre moitié : ainsi Guémené compte 5 aveugles et 9 borgnes. Les sourds et muets ne paraissent pas très nombreux, mais le chiffre est illisible. On relève par ailleurs 3 aliénés (dont 2 à domicile) et 1 goitreux. Il n'y a semble-t-il que 7 bossus (je suppose que c'est ce qu'il faut entendre par "affligés d'une déviation de la colonne vertébrale"), 2 manchots et 1 unijambiste. A cela ajoutez 2 pieds bots, et vous aurez votre compte.

On imagine tout à fait les enquêteurs auscultant du regard les paysans de Guémené pour vérifier leur physique...

Ces catastrophes furent peut-être une aubaine pour le corps médical guémenois. Éclopés  et malades avaient le bonheur d'être confiés au bon soin d'un jeune médecin, Jean-Baptiste Heuzé.

Né natif de Guémené en 1825, ce médecin n'a pas laissé de thèse à la postérité : il n'était donc pas docteur mais simple officier de santé. Il avait dû effectuer sa formation médicale dans une "école préparatoire" départementale (celle de Nantes probablement) sous la férule de vrais professeurs d'université. Il n'avait donc pas de diplôme (pas même les deux baccalauréats de l'époque) sinon celui d'officier de santé décerné par un jury départemental, qui l'autorisait à exercer dans la Loire-Inférieure seule.

Sûr que la population de Guémené était entre de bonnes mains...Il faut croire qu'elle lui fit cependant bonne figure et qu'il se fit un bon petit nid, car l'un de ses fils, vrai docteur cette fois, allait prendre sa suite quarante ans plus tard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire