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samedi 10 mai 2014

Strike !


La lecture de la presse de la première moitié du XXe siècle, à la recherche de faits concernant Guémené, permet principalement de découvrir des faits divers : vols de poules, ivrognerie, bagarres, violence domestique, querelles de voisinage, etc...

Ces faits divers forment aussi, par leur répétition, un discours sur l'état d'une certaine société rurale. Il est constant que les événements que j'ai cités mettent en scène, en général à leur désavantage, des paysans, des ouvriers, mais très rarement des bourgeois ou des nobles (ou alors comme victimes).

Il est pourtant un domaine où ce n'est pas le cas, à savoir la délinquance routière.

Seuls les familles de notables (et certains commerçants) possèdent en effet des autos ou des motocyclettes et, à l'évidence, si le nombre de ces engins n'est guère de nature à créer des encombrements, il semble que l'usage de la voirie ne leur ait pas été particulièrement réservé.

Les routes sont en effet parcourues de charrettes, de cyclistes et de piétons (hommes et bêtes) et dans le monde des années 30 du siècle passé, où les véhicules à moteur prennent de la puissance et de la vitesse, il n'est pas rare que des accidents plus ou moins graves ne surviennent.

C'est alors que la "bonne" société rejoint la moins bonne ou la mauvaise dans les colonnes infamantes du fait divers dont se nourrissent les ragots et les commérages.

En voici un florilège plus ou moins dramatique, intéressant aussi parce qu'on y apprend le prix de la vie humaine (en tout cas celle d'un cultivateur). On y observe aussi la complaisance de certains plumitifs.

Commençons par les drames avec mort d'homme.

Le premier a pour "héros" un notaire qui n'a pas laissé un grand souvenir à Guémené, à ma connaissance.

Le 16 août 1931, M. Le Sourd, notaire à Guémené-Penfao, roule avec son auto sur le "chemin de grande circulation 9 bis" (la départementale 774, de nos jours), de Guérande à Herbignac. Il s'apprête à doubler une autre auto, déboîte, quand il se trouve face à un cycliste venant en sens inverse.

Il n'ont pas le temps de faire connaissance que l'homme de lois de Guémené transforme Gabriel Evain, 33 ans, habitant Mossé, commune de Guérande, en homme mort.

L'affaire est fâcheuse et la Gendarmerie, puis la Justice, s'en mêlent.

La famille de la victime, comprenant sa vieille mère, sa sœur et ses six frères, sont défendus par un avoué et un avocat dont le nom revient d'une affaire de ce type à l'autre : Me Grimaud et Me Galibourg réclament ainsi 115.000 francs de dommages et intérêts, environ 65.000 euros.

Le Tribunal condamne le notaire chauffard et meurtrier à 3 mois de prison avec sursis et à 500 francs d’amende. C'est raisonnable...

La partie civile avait vu grand et n'obtient finalement, au titre des dommages et intérêts, qu'un gros sixième de la somme demandée : 20.100 francs (12.000 euros). 

Le plus curieux en est d'ailleurs la répartition proposée par l'arrêt de la Cour. En effet, la mère, veuve dont le fils devait être le principal soutien, reçoit les trois quarts de la somme : 15.000 francs (8.500 euros) ; la sœur Thérèse, probablement célibataire, se voit attribuer 4.500 francs (2.550 euros) ; mais les frères n'ont qu'à se débrouiller et devront se contenter de 100 francs chacun, 57 euros !.. Pas chère, la vie...


La seconde affaire dramatique concerne une famille célèbre de Guémené. Par-delà le double drame que représentent la perte d'un parent dans un accident de la route et (quand même) la responsabilité de porter sa vie durant le fardeau d'un tel événement, l'histoire révèle secondairement le parti pris "social" du journaliste qui rapporte l'affaire et qui, à l'évidence, épouse la version de la famille de notables, fut-elle avérée, sans grand esprit critique.

Voici les faits.

Le dimanche 12 novembre 1933, Alain Benoist, 19 ans, fils du docteur Benoist de Guémené-Penfao, décide de conduire en motocyclette un de ses camarades à la gare de Blain, à quelques kilomètres donc au sud de Guémené.

Ayant déposé son ami à la gare de Blain, le jeune homme s'apprête à retourner vers Tregroaz, le manoir familiale de la route de Redon, à Guémené.

Il est environ 18 heures 45, quand il s'engage sur le chemin du retour.

Alain Benoist aurait marché "à allure normale en suivant la route de Blain à Guémené en tenant sa droite". Tout se passe normalement, le motocycliste passe le hameau de Trélan et, avant d'atteindre le hameau de Figanon, il aperçoit devant lui un cycliste : celui-ci "marchait dans le même sens et tenait sa droite également".

Pour ce qui concerne la suite des événements, "M. Benoist ne s’en souvient pas".

Il est blessé et étourdi, puis reprenant ses sens, il voit le cycliste sur la chaussée, sa bicyclette à côté de lui : Léon Philippe vient de mourir. Dans la ferme du Bas-Luc, en Guémené, où il habitait et travaillait, sa femme et ses enfants ignorent qu'ils sont déjà devenus veuve et orphelins.

A ce moment, le docteur Benoist et son fils aîné (lieutenant à l’Ecole de cavalerie de Saumur, en permission, graphiste animalier de qualité dont il faudra parler un jour) commencent de s’inquiéter. Ils décident donc d'aller à la rencontre de leur fils et frère en retard. 

Ils finissent bien sûr par le rencontrer, blessé, en même temps que, sur la route à côté, il trouve "un cadavre"

On imagine la panique qui dut s'emparer du médecin à la vue de l'homme blessé mortellement, mesurant la gravité de la situation. Cependant, le docteur, comme le dit ridiculement le journaliste, "s’empressa d’essayer de lui apporter secours, mais inutilement". C'est en effet compliqué de ranimer un mort...

L'affaire fut jugée une première fois à Saint-Nazaire. Puis la Cour d’Appel de Rennes confirma la première condamnation.

Le jeune étudiant écopa de 50 francs d’amende. Finalement c'est papa Benoist, responsable civil de son fils mineur, qui prit le plus cher : 103.000 francs (66.000 euros) de dommages et intérêts diversement répartis entre la veuve Philippe, ses enfants, puis le père et la mère de la victime.


La troisième et dernière affaire est plus légère.

Nous sommes le lundi 19 août 1935 dans le bourg de Guémené. Il est 7 heures du soir. Les terrasses des cafés sont emplies de monde.

Mme Arnous-Rivières, demeurant au château de l’Epinais en Plessé, descend dans son auto la rue de l’Eglise. Elle s'approche du carrefour que marque cette rue avec la route nationale de Chateaubriand à Redon (voir les deux cartes postales ci-après).




Sans doute enivrée par la douceur estivale et vespérale de l'air du bourg, Mme Arnous-Rivère ne semble pas trop regarder ce qui vient sur sa droite ou sur sa gauche, et elle continue son chemin en direction du sud, vers la route de Plessé qui la ramènera à son manoir.

C'est malencontreusement le moment qu'a choisi le motard de la gendarmerie de Guémené Couteau pour rentrer dans son casernement près de la Mairie. Le choc entre la châtelaine et le pandore est sans conséquence pour la maréchaussée, mais trouble Mme Arnous-Rivières dont le véhicule traverse la chaussée et vient gravir le trottoir devant l'hôtel des Voyageurs (le fameux "Petit Joseph").

A la terrasse de cet honorable établissement quelques personnes ont eu la mauvaise idée de s'attabler.

Il y a là Eugène Amossé, cordonnier à Paris, mais dont le nom traduit bien l'origine locale, et un couple de vacancières, Mme et Mlle Beurrier.

Tous le matériel en terrasse est réduit en miette. Le cordonnier a la jambe prise sous l'automobile et les deux Beurrier, légèrement ébréchées, s'en sortent sans trop de casse et avec un souvenir de vacances à raconter.

Bref, Mme Arnous-Rivière nous a fait un "strike" (avec bonus : au bowling routier, un gendarme resté intact ça rapporte des points !).

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