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samedi 18 octobre 2014

Quand s'ouvrent les placards...


Les premiers mois passent.



Les années commencent à s’égrener.



L'enfance s'achève. En 1932, la famille Legendre cultive encore quelques champs à L'Epinay même si des nuages assez sombres planent sur elle, nuages de misère, qui bientôt la conduiront à quitter ce village pour celui de la Bruchais.

L'aîné des enfants (ils sont trois alors) a eu onze ans en mai, âge de la communion. Le curé s'appelle Pierre Diais. Natif de Saint-Vincent-des-Landes, c'est un homme qui vient de dépasser la soixantaine (il mourra à Paimboeuf en avril 1953).

La petite Anne-Marie va vivre le grand jour le jeudi 26 mai 1932 (la confirmation s'était produite en revanche un dimanche, le 17 mai 1931).

Les familles, tirées en ce jour de semaine de leurs travaux ordinaires, se sont assemblées dans l'église. C'est comme un dimanche. Les prêtres sont tous là et la masse des communiants se presse sur les premiers bancs, filles d'un côté, garçons de l'autre.

Comme de juste, il a fallu s'habiller pour la circonstance. Une robe, des chaussures, des bas, un voile, des gants : rien que du blanc, peut-être empruntés à quelque parent, et qu'on réutilisera deux ans plus tard pour Madeleine, la sœur cadette.

Un pendentif qui semble en or est passé autour du cou et vient se poser sur la poitrine immaculée.

La robe est comme plissée horizontalement et descend jusqu'à la cheville. Les chaussures sont fermées par une languette qui passe sur le dessus du pied et se fixe avec un bouton.

Un missel et un chapelet viennent achever la panoplie.

Du corps de la petite fille, on ne voit que la tête, les cheveux noirs, la frange sur le front et des boucles nonchalamment posées sur les épaules qui doivent probablement à l'art du frisage.

Certes, le regard qui anime ce visage ne laisse pas indifférent : on est frappé par l'expression déterminée et sévère de ces yeux de petite fille. Pourquoi ? Le décor du studio de François Brossaud, le photographe de Guémené, ce décor grandiloquent et dérisoire n'a rien sans doute de bien intimidant.

On imagine la mère, Gustine, ou le père peut-être, Aimé-Julien, assis à côté en train de regarder la scène, tandis que l'artiste donne ses instructions pour la pose, rectifiant un port de tête, réclamant en vain un sourire.








Bientôt, on reçoit le "diplôme", la grande image pieuse de chez Doumard et fils, éditeurs pontificaux, au bas de laquelle le curé a signé. On y voit des scènes avec le Christ, des choses bien édifiantes : la dernière cène, en haut ; le baptême de Jésus et la Pentecôte peut-être, en bas ; le tout souligné d'une formule latine en lettres capitales. Au milieu, séparant les représentations, une évocation de la crucifixion : du sang dégouline.

On fera faire un cadre et on pendra ce document souvenir quelque part dans la maison.


  




Après ce premier événement marquant le passage vers une autre vie, va en venir un autre, bien plus déterminant, qui sanctionnera la fin des études  : le "certificat d'enseignement primaire", diplôme décernée par le système éducatif confessionnel et qui ne vaut pas grand chose, mais surtout le "certificat d'études primaires", le fameux "certif", celui de l'école de la République qui, alors, ouvre bien des horizons.

C'est un autre grand jour : les enfants sont endimanchés ; des enfants d'autres bourgades du canton, qu'on ne connaît pas, sont là aussi. Que de bons élèves, ceux que les instituteurs ont bien voulus présentés.

Début des épreuves avec la dictée. Attention : cinq fautes et c’est le zéro éliminatoire... Puis la rédaction, deux problèmes d’arithmétique, l'histoire et la géographie, le calcul mental. En parallèle, les corrections des copies vont bon train.

Déjà 11 heures 30 : fin des épreuves du matin. Des enfants déballent un petit baluchon avec leur casse-croûte ; d'autres rentrent chez eux ou chez quelque parent près du bourg. Anne-Marie est peut-être partie déjeuner chez sa grand-mère Françoise, à La Hyonnais.

Mais le temps passe et il en temps de s'en retourner pour les épreuves de l’après-midi : lecture expliquée et sciences, dessin, couture ; récitation ou chant... 

A l'heure du goûter, tout est terminé. Il n'y a plus qu'à attendre, interminablement. 

Proclamation des résultats. "Sont reçus avec mention très bien..." Joie, tristesse d'enfants...

Ma mère était reconnaissante à son père d'avoir insisté pour qu'elle passe les deux examens, et surtout le second. Elle conservait à la fin de sa vie une certaine fierté de savoir encore toutes ses préfectures par coeur...

Là encore, deux diplômes vinrent sanctionner la double réussite. Ils furent dûment encadrés et rejoignirent la grande image pieuse de la communion. Il faut savoir que celui qu'on pouvait encadrer, le grand format (pas le classique, petit et noir), était fourni par l'Administration moyennant finance...On mesure la fierté des pauvres qui se le sont procurés...







Etant scolarisée à l'école Saint-Marie, il lui fallut aller chercher son diplôme laïc auprès du directeur de l'école laïque.

J'ai évoqué cet épisode dans un article que j'ai supprimé suite aux pressions imbéciles d'un descendant de ce monsieur. Ma mère racontait avoir été très mal reçue par cet individu, qui lui reprochait de venir de l'école des curés, et en parlait encore à la fin de sa vie, non sans amertume.


Voilà comment, dans le Guémené du début des années 30 du siècle passé, les enfants finissaient d'être des enfants.

Voilà aussi, quand s'ouvrent les placards, les photos et les documents que l'on trouve, conservés une vie durant près de soi, ce qui en montre le prix ; jamais montrés, on se demande pourquoi.

De cette double constatation, je ne peux m'empêcher de penser, en réalité avec peine, que ces pauvres et glorieux témoignages d'événements de la fin de l'enfance qui ont pris place il y a plus de quatre-vingts ans, ont dû représenter quelque indicible affaire intime, quelle inexprimable expérience personnelle, quelque chose de définitivement profond et intransmissible.

Paix et respect.

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