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mercredi 18 février 2015

Première pierre à la nouvelle église de Guémené


Racontant la saga des églises de Guémené au XIXè siècle (de la restauration de l'ancienne, à la construction de la nouvelle), je mentionnai en un second billet daté d'août 2013 que la pose de la première pierre de la nouvelle église fut l'occasion d'une fête "avec évêque et fanfare".

J'adore les fêtes publiques, les "14 juillet" de quartier, à Paris jadis, ou ceux de mon enfance à Guémené, derrière la mairie, avec pétards, pompiers, lampions et musique ; j'aime les défilés de la fanfare municipale sous le soleil, les trognes rougies sous la casquette blanche par le souffle, le pinard et la chaleur ; je me délecte des récits d'inaugurations d'école, de gare ou que sais-je, avec maire, député, général ou préfet, tout ça rutilant et martial...

Mais rien ne vaut une bonne première pierre.

Dans ce registre, les premières pierres des bâtiments religieux de Guémené sont mieux documentées que celles des bâtiments publics. C'est dommage, mais c'est comme ça.

Une première pierre religieuse attire quand même son monde. Le casting comprend en général un évêque. C'est bien, un évêque, c'est décoratif.

A vrai dire, je raffole aussi des évêques. J'ai pour ces prélats une affection intellectuellement et physiquement très platonique, mais la robe attire.... et je leur trouve une onctuosité, une componction, une aménité doucereuse qui me fait chavirer...Et je serai beaucoup pardonné car...

Après moultes tribulations (l'idée d'un nouveau temple prenant forme en 1878), la bénédiction de la première pierre de la nouvelle église de Guémené est enfin prévue le 21 septembre 1884. Je mentionne pour l'Histoire le nom de l'entrepreneur à qui fut confié ce projet pharaonique : Babjeau. Il aurait été dommage qu'avec un nom si original, la chronique continuât de l'ignorer...

Ce fut une bien belle journée, que favorisait un soleil généreux.

Tout commença par l'arrivée solennelle de Sa Grâce Jules-François Le Coq. Cette dernière avait commencé sa tournée par une visite apéritive aux Sœurs de Saint-Gildas-des-Bois, à vingt cinq kilomètres au sud-ouest de Guémené, ramassant au passage leur Supérieur, l'abbé Desnaurais, et traînant dans ses bagages l'abbé Bruneau, maître des cérémonies.


Armes de François-Jules Le Coq
évêque de Nantes

Cet équipage traversa Guenrouët, puis Plessé. La voiture et les chevaux avaient été prêtés par notre Comte du Halgouët, Poulpiquet pour les intimes, président de la "fabrique" (organisme qui gère le temporel de la paroisse) et châtelain de Juzet.

Pratiquement au sortir de Plessé, à plus de dix kilomètres de Guémené encore, une escouade de cavalerie commandée par Monsieur de Boisfleury (probablement Arthur, mort centenaire, que ma mère connut dans son enfance et qui était partisan de l'Action Française) se mit à escorter les bons prélats qui ne se sentaient plus d'aise.

Comme pour la première pierre du presbytère, une délégation attendait de pied ferme ce charivari au carrefour des routes de Plessé, Blain et Guénouvry, de l'autre côté du nouveau pont sur le Don.

Il y avait là d'abord toutes les "huiles" religieuses : le curé Revert en tête, assisté de ses vicaires et flanqué de l'abbé Courgeon (enfant du pays ayant réussi : préfet des études et professeur de philosophie à Saint-Stanislas, à Nantes). D'autres prêtres des environs avaient profité de l'aubaine pour s'aérer la soutane.

Naturellement "toute" la population s'en était venue recevoir Monseigneur. Pour faire bonne mesure, un bataillon d'infanterie était présent également, composé de jeunes soldats de la paroisse et commandé par Louis Menant, jeune tanneur de vingt-sept ans. Le sabre n'était donc pas en reste du goupillon, à croire qu'on craignait une attaque des prussiens...

Pour l'occasion, le pont sur le Don avait été paré de mâts et d'oriflammes.

Vers dix heures moins le quart, un nuage de poussière s'éleva à l'ouest et deux cavaliers en surgirent : Monseigneur arrive ! Monseigneur est là !

François-Jules descendit de sa carriole et vint saluer le clergé assemblé au bord de la route. Le curé Revert lui présenta alors le Maire, Fidèle Simon, le conseil municipal et le conseil de fabrique, c'est-à-dire ses soutiens républicains, d'un côté, et ses soutiens monarchistes, de l'autre.

Quelques baisouilles d'anneau par ci, quelques serrages de pognes par là, et tout ce petit monde commence la procession : non seulement le pont est pavoisé, mais les maisons aussi. On remonte doucement vers la place de l'ancienne église. Une grand-messe chantée inaugure les festivités. C'est justement l'abbé Courgeon qui s'y colle.

Tout ça c'est pas tout, mais c'est bientôt l'heure du casse-croûte. On se dirigea donc vers le presbytère décoré de tentures et d'oriflammes bleues et blanches. Dans la grande salle, un banquet de soixante-quinze convives avait été préparé.

Tout le monde, c'est-à-dire toute les notabilités, y avait été convié. Le maire et son fils député républicain y étaient bien entendu, comme les du Halgouët de Juzet ou de Saint-Germain de Beslé. Seuls manquaient les de Boisfleury qui, ayant bouffé du cheval, n'imaginaient pas partager le pain avec leurs ennemis politiques républicains (comprendre : les Simon).

Sur le coup de deux heures, Monseigneur ayant fait son rôt bien canoniquement, ainsi que le reste de l'assistance à l'unisson, on fit une petite promenade bien solennelle et digestive par le bourg.

Huit petits tambours arrivés de Chateaubriant par le train de midi conduisirent le défilé à la grande satisfaction des badauds endimanchés qui en admirèrent "l'aplomb et la tenue". Le curé de Derval chanta les Vêpres pour faire digérer la compagnie.

Une fois terminés ces amusements, on mena Sa Grâce au chantier bien processionnellement. Encore une fois, de riches tentures décoraient le choeur et les murs. Des oriflammes rouges et blanches pendaient aux écoperches des échafaudages.

Pour marquer le coup, l'entrepreneur Babjeau avait fait dresser une vaste estrade autour de la première pierre où Sa Grâce vint poser son saint séant, entouré des principaux du banquet (et de la ville).

Heureusement, le curé Revert, grand bâtisseur devant l'éternel, avait fait dresser un dais pour protéger la caboche épiscopale des ardeurs solaires (les mitres ne sont pas réfrigérées, hélas).

S'ensuivirent divers blablas. 

Le curé, conciliateur, remercia l'évêque, les autorités municipales, républicaines, et les autorités paroissiales, qui le sont moins. Il ajouta une louche pour l'architecte nantais Bougouin et l'entrepreneur, tous deux bons chrétiens, cela va sans dire.

Pas en reste, François-Jules en profita pour dire tout le bien qu'il pensait de la religion et des églises, et de Guémené, ceci cela.

Mais tout ça c'est pas le tout, comme on dit, le temps passe et c'est bientôt l'heure de ramener Monseigneur dans son bercail, car Sa Grâce, commençant à avoir quelques heures de vol, a tendance à dodeliner de la mitre. 

L'escorte de cavalerie de de Boisfleury et la voiture et les chevaux de du Halgouët sont à nouveau sollicitées pour emmener Sa Grâce à la petite gare de Massérac, où passe la ligne de Nantes, tout à côté de Guémené, pour le train de cinq heures vingt.

Cette première pierre, mon Dieu quelle corvée, pourvu que ce soit la dernière...

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