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lundi 1 août 2016

Roméo Plantard et Juliette Roussel


Voici une triste histoire qui a pour cadre notre bon vieux Guémené du milieu du XIXè siècle, un Guémené rural, relativement opulent par rapport au reste du canton, mais un Guémené où pèsent les vieilles croyances et où le contrôle social se fait sentir lourdement.

Louis-Napoléon Bonaparte est Président de la IIè République, Fidèle Simon est maire de Guémené, comme d'habitude.

Cette affaire d'infanticide permet une plongée tout à fait vivante et pleine d'émotions au coeur de cette époque lointaine, au coeur de ce cadre géographique à la fois si identique et si différent désormais.



René Plantard naît en 1811 à Beslé-sur-Vilaine, section septentrionale de Guémené, au hameau de Méauduc. Il appartient à une famille de cultivateurs, à l'instar de sa future épouse, Françoise Houillier qui vient du même village où elle est née un an plus tard.

Les épousailles ont lieu le 30 août 1840. Le couple va exploiter une ferme à Richebourg, village tout près du bourg de Beslé, au bord de la route de Pierric.



Le jeune couple est plutôt à l'aise. Bientôt leur viennent deux enfants, deux fils : François, en 1841, René, deux ans plus tard. Hélas, Françoise Houllier décède le 15 octobre 1846.

La vie doit continuer cependant : s'occuper des champs, s'occuper des petits. René Plantard décide d'embaucher une domestique.

Quand Mélanie Roussel se présente en 1847, elle a 26 ans environ.

Elle semble donner toute satisfaction à la maisonnée qui comprend également deux autres personnes pour les cultures. Et le temps passe, comme si de rien n'était.

Au bout de trois ans de services, René, cultivateur aisé, se fait entreprenant auprès de sa jeune domestique qui finit par céder "aux obsessions de son maître". De fil en aiguille, "les voilà comme mari et femme".

Et malgré ses "habitudes calmes et tranquilles", René Plantard passe dans le pays pour entretenir effectivement des relations intimes avec sa domestique. Mais personne n'y redit, toujours pas devant les intéressés.

A la Toussaint 1850, Mélanie se trouvant "malade", se rendit chez M. Fortin médecin à Guémené (né à Cherrueix en 1809, mort à Guémené en 1876), d'après le conseil de son maître. Elle y retournera deux autres fois. Enfin, le 2 avril 1851, M. Fortin, qui avait des doutes, voulut lui palper le ventre et sentit les pulsations de l'enfant qu'elle portait.

En réalité, dès qu’il avait appris la grossesse de sa domestique, René Plantard l’avait adressée au médecin, qui avait accepté à plusieurs reprises de la saigner et de lui poser des sangsues. Mais ces "soins" n’avaient pas suffi à faire reparaître les menstrues.

Constatant finalement la grossesse, le médecin donna le conseil à Mélanie Roussel de prévenir son séducteur de se hâter de l'épouser, ajoutant : " Si par un motif ou par un autre cet homme refusait de vous épouser, gardez-vous de porter une main criminelle sur votre enfant nouveau-né, ou de faire des tentatives pour un avortement ; car la justice découvrirait la vérité. "

Les yeux de Mélanie se remplirent de larmes et elle sortit de chez M. Fortin en s'écriant : " Certainement, non, que je ne lui fera pas de mal. "

Les bonnes intentions dont elle s'était récriée au sortir de chez le médecin l'abandonnèrent quand elle se retrouva seule avec son maître René Plantard. Celui-ci l'exhorta à avorter en lui faisant des promesses pour "après". Et bien sûr, sous son emprise, elle céda à son maître.

Commença alors le calvaire que lui imposa René Plantard. A partir de celle époque, avril 1851, René Plantard essaya en effet sur elle divers moyens bizarres pour provoquer l'avortement. Mais laissons parler la pauvre fille :

Il me dit qu’il fallait détruire cet enfant-là, qu’il ne fallait pas avoir honte de le faire avant le mariage et lorsque j’en serais débarrassée, je me marierai avec lui.

Il me proposa et il me fit exécuter divers moyens qu’on lui avait indiqués pour me débarrasser de l’enfant que je portais, il m’a fait souffrir très cruellement.

Ainsi il profitait du moment où les deux autres ménages qui habitent près de nous étaient aux champs, il me faisait m’appuyer contre un mur et là il me donnait des coups de genoux violents dans le ventre, il me faisait mal, je criais, alors il me disait qu’il allait suspendre son opération pour la reprendre plus tard...

D’autres fois quand j’étais dans mon lit, il étreignait mon ventre avec ses mains à me faire crier par les souffrances que j’endurais, mais il me défendait de crier bien haut. Il me donnait encore souvent des coups de genoux dans le ventre dans le même but.

D’autres fois Plantard se servait d’une planche longue, il me faisait appuyer le ventre dessus, il secouait ensuite la planche de manière à me faire retomber lourdement et moi dessus, de manière à me faire avorter.

D’autres fois, il me faisait monter dans son grenier où il y avait une échelle, il me faisait suspendre par les bras à cette échelle, il venait ensuite par derrière, mais me prenant par le ventre, il m’étreignait fortement de manière à me faire crier.
Plusieurs fois encore il m’apportait des pains brûlants de douze livres qui sortaient du four et il me faisait les mettre sur le ventre, quand je ne pouvais pas les supporter à nue, il me les appliquait par-dessus ma chemise."

D'après le témoignage d'un avocat qui rédigea un ouvrage peu de temps après, d'autres sévices furent imposés à deux reprises à la jeune femme :

"Il y a environ huit ans, nous entendions révéler, devant la cour d’assises de la Loire-Inférieure, les tristes expédients employés par un paysan qui avait séduit sa servante et qui voulait la faire avorter : cet homme, monté sur un vigoureux cheval, sur lequel il prenait sa domestique, partait au galop à travers champs, et lançait à terre cette malheureuse au plus fort de la course."

Mais ce n'est pas fini.

Un nommé Launay, journalier de ses amis, avait découvert à René Plantard les propriétés soit-disant abortive de la sabine (une sorte de genévrier : il s'agit d'une plante hautement toxique du fait de ses huiles essentielles, dont le pyrogallol qui bloque complètement le circuit intestinal : les animaux qui en ont consommé meurent rapidement...).

Launay lui en avait fait voir un plant dans le jardin de M. Hervé de Beaulieu, nobliau adjoint au maire de Guémené, habitant un château sur les hauteurs de Beslé. Plantard alla en chercher la nuit et il en fit prendre une infusion à Mélanie. Mais ce breuvage ne produisit pas encore l'effet qu'il en attendait. Ni aucun autre apparemment....

C'est au milieu de tous ces supplices que Mélanie Roussel, dont la constitution était à l'évidence très robuste, accoucha le 30 mai 1851, vers le coucher du soleil.

René Plantard était présent ; il revenait de garder ses bestiaux. D'après ses dires, Mélanie se penchait pour satisfaire un besoin. Elle était près de la porte ; le cordon ombilical cassa ; elle entendit son enfant crier ; mais ses forces l'abandonnant elle n'eut que le temps de gagner son lit.

Elle laissa son enfant entre les mains de René Plantard ; celui-ci l'enveloppa tout vivant dans une jupe de la mère sans lier le cordon et il le porta dans un tonneau plein de cendre dans son fournil.

Peu avant le lever du soleil, Plantard se leva, ficela la jupe qui recouvrait l'enfant, après avoir pris la précaution d'y attacher de chaque côté une pierre, afin de faire tomber au fond de l'eau le paquet.

Il partit, et, en rentrant, il dit à Mélanie. " J'ai jeté l'enfant dans la rivière, au dessous du manoir de la Trouanière, mais j'ai eu peur du démon; je ne l'ai pas jeté assez loin ; cependant nous n'avons à craindre que les pêcheurs à la herse."

Cette pêche consiste à ratisser, avec une herse tirée par un animal de trait, les fonds peu profonds pour y déloger les poissons qui sont ensuite ramassés à la main.

Malheureusement pour René Plantard, le niveau de la rivière baissa d'une trentaine de centimètres (un pied), ce qui permit à des pêcheurs à la ligne de voir et d'attirer sur le rivage le paquet en question qui n'avait pas été jusqu'au fond de l'eau parce qu'il avait été retenu par des joncs assez fournis dans cet endroit.

C'était le 4 juin, soit cinq jours après l'accouchement, sur les bords de la Vilaine, près le manoir de la Trouanière, sur le territoire de la commune de Guéméné. Pressentant une affaire de mauvaise augure, les pêcheurs alertent les autorités qui à leur tour préviennent la justice.

Les magistrats se transportèrent sur les lieux. Le paquet fut retiré de l'eau en leur présence ; on l'ouvrit, après avoir coupé la ficelle, et l'on reconnut que dans cette jupe était enveloppé le cadavre d'un nouveau-né, de sexe masculin, qui, à en juger par la conformation de ses diverses parties, et surtout par son volume, paraissait être né du huitième au neuvième mois.

La précaution qu'on avait prise de ficeler la jupe qui enveloppait l'enfant, après avoir placé de chaque côté une pierre qui devait l'empêcher de surnager, faisait voir assez qu'un crime avait été commis, et que la main qui s'en était rendue coupable, avait voulu ensevelir au fond des eaux la preuve de son forfait et en rendre à jamais la découverte possible.

Il exhalait une odeur de putréfaction très avancée et présentait sur plusieurs points une teinte livide, verdâtre; sur plusieurs points aussi l'épiderme était détaché. En promenant la main sur les différentes régions du corps, on sentait presque partout un mouvement de crépitation occasionné par la présence du gaz produit de la décomposition.

Aucune trace de blessure n'apparaissait à l'extérieur ; le nez était aplati, les os de la tête chevauchaient fortement les uns sur les autres ; toutes ces remarques qui furent faites par les deux médecins qui procédèrent à l'autopsie du cadavre de cet enfant, démontrèrent que ce cadavre avait séjourné dans l'eau pendant un certain temps.

Ils remarquèrent sur la partie antérieure latérale droite du cou une coloration violacée; toutefois cette teinte était peu prononcée, et la décomposition avait atteint un degré trop avancé pour leur permettre d'affirmer que c'était là plutôt le résultat d'une violence que d'un effet cadavérique. L'opération à laquelle se sont livrés les deux médecin leur a démontré que cet enfant, né viable et bien conformé, avait respiré et vécu.

D'après la conviction des médecins, l'enfant avait dû être placé vivant dans la jupe où il a été trouvé; on ne lui avait pas lié le cordon ombilical, et il est très probable que la mort de l'enfant a été causée par le double effet de l'hémorragie ombilicale et de l'asphyxie. Ainsi, nul doute qu'un infanticide ait été commis sur l'enfant.

Quoi qu'il en soit, Mélanie ni son maître n'avaient parlé à personne de la grossesse, ni de l'accouchement. Néanmoins, depuis un certain temps déjà, on jasait à Beslé sur le compte de Mélanie Roussel : plusieurs femmes étaient venues la voir et n'avaient pas manquer de remarquer que son ventre et ses seins grossissaient. De plus, cette fille n'allait pas à l'église depuis un certain temps, et ses jambes étaient enflées.

Quand Mélanie Roussel apprit qu'un enfant nouveau -né, enveloppé dans une jupe, avait été découvert sur les bords de la Vilaine, elle se montra préoccupée . Elle demanda ainsi à la femme Plédel, une voisine, qui causait avec elle de ce bruit, s'il était possible aux médecins, lorsqu'il y avait un certain temps qu'une femme était accouchée, de découvrir les traces d'un accouchement. Elle était inquiète...

Pendant ce temps là, l'instruction se mit à faire ses recherches pour découvrir la mère de l'enfant assassiné et les auteurs de cet attentat. La rumeur publique, évidemment, signala bientôt, comme mère de cet enfant, la fille Mélanie Roussel, qui servait comme domestique depuis quatre ans environ chez René Plantard.

Des femmes du bourg de Beslé trouvèrent naturellement à alimenter leur dénonciation, car lors de la messe dominicale, elles avaient bien remarqué l’épaississement de la taille de Mélanie Roussel : " Un des dimanches qui ont précédé Carnaval, sans que je puisse préciser, j’étais à la messe, la fille Mélanie Roussel y était, lorsqu’elle s’est mise à genou, j’ai trouvé que son ventre et ses seins avaient "grassés", je pensai en moi-même qu’elle était enceinte ", déclara par exemple Perrine Percevault, 51 ans, journalière du voisinage.

Très vite Mélanie Roussel, désignée par la bonne conscience de ses voisines, fut interrogée par la justice. Elle nia énergiquement sa grossesse et son accouchement et elle maintint encore ses dénégations après la visite faite par deux médecins, venus d'après l'ordre du magistrat instructeur.

Mais ces dénégations n'emportent pas la conviction des magistrats et les gendarmes "emballent" la pauvre fille pour la conduire à la caserne de Guémené. De Beslé à Guémené, il y a plusieurs kilomètres à travers la campagne quasi déserte, mais au bourg de Guémené, ce n'est plus la même histoire. Le juge d'instruction raconte cette arrivée infamante où les commères du cru leur ont fait cortège :

" Nous l’avons fait monter dans notre voiture et nous l’avons reconduite jusqu’à Guémené où elle a passé sous les regards d’un grand nombre de femmes de l’endroit qui l’ont accompagnée jusqu’à la caserne de la gendarmerie où nous l’avons déposée. En arrivant à la caserne, cette fille s’est mise à pleurer et à fondre en larmes."

Pour finir cet épisode, Mélanie Roussel fut déposée dans la chambre de sûreté de la caserne de Guémené, en larmes et elle fit bientôt des aveux complets, réitérés dans l'instruction en présence de René Plantard.

De son côté, René Plantard opposait les mêmes dénégations sur ses rapports avec sa domestique. Il prétendit qu'il n'avait eu connaissance ni de sa grossesse, ni de l'accouchement.

Le magistrat instructeur lui fit entrevoir les charges graves qui s'élevaient contre lui. Ce fut sans doute là le motif qui détermina René Plantard à prendre la fuite, lorsqu'il était conduit au bourg de Guémené pour être interrogé, non sans avoir pris la précaution de se munir d’une somme d’argent assez importante.

Il erra pendant deux mois, n’osant s’éloigner de sa famille et de ses terres. Il justifiera ultérieurement cette évasion :

"J’ai fui parce que je voulais aller prévenir mes parents de mon arrestation et m’entendre avec eux pour la gestion de mon bien et la garde de mes enfants. Je comptais me constituer prisonnier le lendemain, mais je n’ai pas pu parler à mes parents parce que j’avais peur d’être pris par les gendarmes, c’est ce qui fait que je suis resté si longtemps à vagabonder dans le bois où je m’étais réfugié dans les champs environnants, et du côté de Fougerais (Grand-Fougeray)."

Plus tard, il se constitua prisonnier :

" Dimanche dernier, je me suis rendu chez Monsieur de Beaulieu, adjoint de Guémené, avec deux témoins, et je lui ai déclaré que je venais me constituer prisonnier. M. de Beaulieu m’a donné une lettre pour me rendre ici."

C'est par la crainte du déshonneur que l’adjoint au maire de Guémené pour Beslé, Édouard Hervé de Beaulieu, 46 ans, propriétaire, qui a rencontré René Plantard au cours de sa fuite et ne l’a pas dénoncé, explique l’évasion de Plantard :

" [Il] me dit que l’idée de prendre la fuite ne lui était venue qu’en chemin et que c’était la honte d’être conduit par des gendarmes aux su et vu de toute sa famille, dans son pays, qui l’y avait décidé."

C'est encore une autre explication.



Finalement le procès des deux amants eut lieu devant la Cour d'Assises de la Loire-Inférieure, lors de deux audiences, les 12 et 13 septembre 1851 (la justice est plutôt rapide, à cette époque).

C'est le Président Lemeur, conseiller à la Cour d'appel de Rennes qui conduit les débats.

L'accusation est soutenue par M. Dubeux procureur de la République.

La défense de René Plantard a été présentée par Me Anthyme Ménard, et celle de Mélanie Roussel par Me Berthaud.



Apparemment pas grand-chose à dire, sinon que la défense de René Plantard ne fit pas grand effet. Il avait eu pourtant le temps le temps, pendant qu'il était en fuite, de la méditer et de prendre des conseils.

Il prétendit ainsi qu'il n'avait connu la grossesse de Mélanie que le mercredi qui précéda l'accouchement de celle-ci. Il soutint aussi qu'il n'était pas présent à l'accouchement de Mélanie, que celle-ci lui en fit confidence le soir.

Il avoua qu'il avait certes eu des rapports avec sa domestique, et qu'il avait eu aussi la faiblesse de l'accompagner la nuit, lorsque celle-ci est allée jeter l'enfant dans la rivière... Bref, que du courage...

Après le résumé de l'affaire du Président Lemeur, le jury entra dans la chambre des délibérations. Il en rapporta un verdict d'acquittement pour Mélanie Roussel et une déclaration de culpabilité en ce qui concerne René Plantard, mais avec circonstances atténuantes (on se demande bien lesquelles !)

En conséquence, ce dernier fut condamné à quinze années de travaux forcés, et à la "surveillance de la haute police" pendant toute sa vie, ce qui revenait à lui demander, à sa sortie du bagne, une caution ou à le cantonner dans un lieu qui n'était pas de son choix (en cas de dérogation aux règles, risque d'incarcération à vie).

Il y a donc une morale. Mais ce jugement n'est pas étonnant en ce qui concerne l’acquittement de Mélanie Roussel, car il ne faut pas oublier que le jury était composé d'hommes, plutôt des petits bourgeois ou des agriculteurs aisés, brefs une sociologie qui appréciait les amours ancillaires.

Ces braves gens étaient donc enclins à la compréhension envers les pauvres filles qu'il leur arrivait de lutiner également...

J'ai regardé, à tout hasard, si l'on avait inhumé un nouveau-né, un Plantard ou un Roussel, ou même un "anonyme", à Guémené, cette année-là. Non. Sans doute les restes de cet objet d'autopsie ont-ils fini on ne sait où du côté de Saint-Nazaire ou d'ailleurs...C'est ça la vraie injustice.


Je fournis ci-après une référence bibliographique disponible sur Internet :


TILLIER, Annick. Des criminelles au village : Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865). Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001 (généré le 31 juillet 2016). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782753524743.

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