dimanche 28 avril 2013
La Nouba au Grand-Fougeray
J'ai toujours aimé le Grand-Fougeray qui fait partie, pour moi, du territoire que mes souvenirs d'enfance m'amènent à inclure dans le Pays de Guémené-Penfao. Et j'y repasse toujours, en venant de Paris à Guémené, sans éviter le "centre ville" où plane ce passé.
Dans les années 60, au mois d'août quand toute la famille s'entassait dans la maison de La Hyonnais, à Guémené, il arrivait que mon père se lève de bonne heure, avant tout le monde.
Je sortais de la maison avec lui, sans faire trop de bruit pour ne pas réveiller ma mère, ma grand-mère ou ma tante. J'ai le souvenir de petits matins ensoleillés sur la cour poussiéreuse où dormait la 4Chevaux grise ou la Dauphine rouge qui lui succéda.
Mon père ne conduisait qu'à Guémené, laissant la ville et la route à ma mère. C'était donc un événement rare pour moi que de partager un moment avec lui conduisant, et moi à ses côté.
La route du Grand-Fougeray passe à portée de La Hyonnais, vers la Viellecour. Une petite balade dans la campagne sous un premier soleil doux.
Le but de cette promenade était toujours le même. Nous arrivions sur la place de l'église du Grand-Fougeray et nous nous attablions à l'Hôtel de France pour un petit déjeuner. Il n'y avait guère de monde : le moment nous appartenait. Dans mon souvenir, le pain était frais et craquant, plus gros que celui que nous prenions ordinairement pour la consommation domestique, chez Tardif à Guémené. Et puis on nous apportait de la confiture, ce qui ne constituait pas une composante usuelle non plus de nos petits cafés au lait du matin.
Bref, tout : l'escapade discrète à l'insu de la famille, le lieu avec ses vieux meubles, comme la nourriture, contribuait à un doux dépaysement, à une excitation tranquille.
Je ne peux à vrai dire songer à ces moments sans encore en ressentir une sensation physique tiède, douce et apaisante, ainsi que, sans surprise, un regret.
Une fois rassasiés, nous allions dans un magasin de la place dont je n'ai aucun souvenir, où l'on vendait des bibelots, un peu comme chez Ménard à Guémené. On y trouvait de ces petites faïences façon Quimper, naïves et grossières, des bols avec des bretons à chapeau et des prénoms, des vases de la même veine et bien d'autres choses. Mais mon père avait à coeur de ramener un "cadeau" à ma mère.
Ce pèlerinage matinal au Grand-Fougeray se limitait toujours à ce que je viens d'en décrire, et comme on le constate, il s'agissait de quelque chose de bien innocent : nous n'allions pas "faire la nouba", pour utiliser une expression que mon père affectionnait.
Le retour s'effectuait avec la même tranquillité et la même excitation que l'aller, ruminant le plaisir que me procurerait la tête de ma mère ou de ma grand-mère (cette dernière que mon père appelait "maman" alors qu'ils avaient à 6 ans près le même âge !) quand on lui ferait la surprise du cadeau.
A notre retour, la maison s'était ébrouée et la joie simple des braves gens commençait d'illuminer cette nouvelle journée d'été à Guémené.
Plus tard, je me suis constitué d'autres souvenirs du Grand-Fougeray, autour de la Tour Duguesclin bien sûr ou autour des courses hippiques qui présentent toujours dans les bourgades de campagne un spectacle familial amusant, dans le fumet mélangé du crottin et des saucisses grillées pour les galettes.
Les courses sont certes dans nos contrées une fête bon enfant, mais c'est aussi un événement annuel que pour rien au monde on ne manquerait. A celles de Guémené venait ma grand-mère Gustine : je la revois avec son petit manteau noir et son sac à fermoir doré grimper dans les gradins ou s'asseoir dans un coin dégagé en haut de la Butte qui surplombe l'hippodrome de Guémené.
A la fin des années 20, les courses du Grand-Fougeray se tenaient déjà bien sûr et furent l'occasion de réjouissances.
Des photos transformées en cartes postales ont immortalisé ces moments. Il s'agit de photos de la "Nouba", d'abord place de l'église, puis sur l'hippodrome.
Sur la première, à deux heures de l'après-midi si l'on en croit l'horloge du clocher, la Nouba passe devant l'église pour gagner l'hippodrome : des soldats à la peau sombre, coiffés d'une sorte de fez, portant des instruments de musique, sont conduits par un gros officier ou sous-officier blanc à képi. A l'arrière-plan, un manège avec nacelles et une roulotte blanche.
La foule semble partagée entre la fin du repas du dimanche, la sieste et l'hippodrome tant la place semble déserte.
L'église du Grand-Fougeray arbore son tout récent clocher, restauré vers 1923, adorné d'une haute tribune en forme de tourelle d'angle à clocheton. Je me demande bien d'ailleurs qu'elle idée curieuse à concouru à la construction de cet appendice aérien. Sur une carte postale plus ancienne ci-après, on peut comparer le clocher rénové avec son prédécesseur plus trapu.
La Nouba est donc la fanfare d'un régiment colonial.
Ce régiment est le 41ème Régiment de Tirailleurs Malgaches basé depuis le milieu des années 20 à la caserne Mac-Mahon, à Rennes où il est de toute les fêtes, de toutes les cérémonies. C'est donc assez logiquement que l'on retrouve cette "troupe" mise à contribution pour la fête du Grand-Fougeray qui se tient à cette époque le premier dimanche de juillet.
Sans doute ont-ils été acheminés par train depuis Rennes jusqu'à Pipriac, et qu'il se sont tapés les 15 derniers kilomètres à pied et en chantant s'il vous plaît, le rythme étant donné par le gros blanc à képi qu'on imagine bien à cheval pendant que les autres marchent en cadence. Mais, c'est bien connu, le Malgache aime marcher tandis que le Blanc aime faire marcher le Malgache...
On retrouve nos petits gars sur l'hippodrome où la foule n'est pas encore présente pourtant.
Ces photos montrent bien l'hippodrome du Grand-Fougeray si caractéristique de ces hippodromes campagnards, au milieu des champs, et si arboré.
La Nouba exécute ses morceaux devant la tribune et un public clairsemé. Un deuxième sous-off blanc lève les bras pour diriger la fanfare tandis que le gros devant souffle dans son clairon.
Heureuses gens, heureux fulkériens qui avez pu admirer et écouter la Nouba. Si comme le le pense ces clichés datent de début juillet 1928, il s'agit en effet de l'une des dernières prestations publiques de la fanfare coloniale de Rennes.
Le régiment quitta en effet Rennes et sa région début novembre 1928 pour Fontenay-le-Comte en Vendée. A l'évidence son départ de la capitale bretonne fut un déchirement pour certains qui avaient apprécier ces soldats étranges et sympathiques qui déambulaient dans la ville, ou bien leur musique dont ils ne furent pas avares à régaler les passants pendant les 3 ou 4 années de leur séjour rennais.
Les Tirailleurs Malgaches laissèrent la ville en deux détachements. Le premier partit à l'aube et ne put entonner une dernière fois ses airs dans la ville endormie. Le second s'embarqua l'après-midi avec discrétion également même s'il put faire sonner une dernière fois ses clairons à l'oreille des rennais.
C'est ainsi que disparut à jamais du paysage de nos campagnes la Nouba qui enchantait la Bretagne des années 20.
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