Le 19 mai 1940, l'offensive allemande en Belgique et en France dure depuis 10 jours.
Face aux graves difficultés, le Général Weygand - antidreyfusard et maurrassien qui fut en 1937 l'un des signataires d'un manifeste de soutien des "intellectuels" à Franco - remplace le Général Gamelin à la tête des armées françaises pour lutter contre les armées fascistes hitlériennes...
L'armée allemande fait une pose dans sa progression (enfin Péronne est prise quand même). Une contre-attaque des blindés du Colonel De Gaulle est menée vers Laon, mais reçoit, en dépit de ses progrès, ordre de se retirer...
A Londres, Churchill assure que le gouvernement français se battra jusqu'au bout : c'est ce que lui a affirmé Paul Reynaud, le chef "indomptable" de ce gouvernement qui l'était moins...
Evidemment, à Guémené, on est loin de ces péripéties. Mais pourtant, la journée s'apprête à être tout aussi passionnante.
C'est qu'en effet, c'est jour de fête et même de fêtes.
C'est d'abord, spiritualité oblige, la communion solennelle des enfants du pays. Les garçons portent leur brassard au bras gauche et la raie bien droite sur leur petite tête bien lavée fraîche émoulue d'une séance de coupe chez le coiffeur. Ils ont revêtu leur magnifique petit costume à culotte courte et arborent le noeud papillon au col. Les souliers font bien un peu mal aux pieds, mais ils n'ont jamais été si luisants. Un grand cierge à la main entouré d'un bandeau, le missel offert par la marraine dans l'autre main, et en route à travers le pays, Ave Maria aux lèvres.
Les filles sont pas mal non plus avec leur robe blanche serrée à la taille d'une large ceinture portant une aumônière garnie de trois sous pour la quête. Cette robe, c'est celle achetée Au bon marché ou ailleurs, ou bien celle d'une soeur ou d'une cousine ou même de la mère, pour les plus pauvres.
Les estomacs juvéniles sont creux et ça gargouille bien un peu, mais qu'importe, c'est la fête et les coeurs des enfants, des parents et des familles battent, tandis que la procession s'engage dans l'église.
Je vous passe la suite : vous avez tous fait votre communion (ou équivalent) et vos souvenirs émus sont forcément meilleurs que ma prose.
Au sortir de la grand'messe, Monsieur le Curé étant en forme, il en profite pour enchaîner sur la bénédiction d'un nouveau matériel d'incendie, là, devant l'église. Cette opération est effectuée en présence des pompiers (ce qui est bien le moins) sous le commandement de Monsieur Bréger, "notre sympathique lieutenant" et des communiants (forcément intéressés puisqu'ils venaient de connaître un véritable feu intérieur).
On peut dire que ce fut également une belle cérémonie. Le Commandant des pompiers de Nantes M. Boisseau, avait même fait le déplacement et représentait le préfet de la Loire-Inférieure qui sans doute veillait ailleurs ou faisait ses paquets. On trouvait tout naturellement l’inénarrable Emmerand Bardoul, député de Loire-Inférieure (et non de Groland, comme on aurait pu croire), les membres du Conseil municipal de Guémené, les anciens combattants de l'Union Nationale des Combattants emmenés par M° Fournis, l'Association des Médaillers Militaires avec Victor Métayer à leur tête et leurs drapeaux plantés sur le ventre, les jeunes gens de la clique de la Société de Gymnastique et, comme de juste, "des autorités et notabilités de la ville".
On relève également dans la foule la présence de calots insouciants, mais pas très catholiques : il s'agit d'officiers anglais logés chez l'habitant faisant partie du Corps Expéditionnaire. Ils avaient une base dans la forêt du Gâvre, plus tard utilisée par les allemands. Il n'allaient pas tarder à repartir et rembarquer à St-Nazaire, à l'instar de ce qui se passerait à Dunkerque. Voici d'ailleurs une (rare) photo d'époque prise à Guémené que je dois à la gentillesse d'une lectrice (et quasi collaboratrice tant son concours est précieux) où un soldat anglais figure, calot de travers, quatrième tête à partir de la droite :
Mais je reviens à mon affaire. Le parrain de la nouvelle auto-pompe (et de ses accessoires) est M. Victor Métayer, premier adjoint faisant fonction de maire (celui-ci étant mobilisé) et la marraine, Madame Ribot, qualifiée "d'épouse d'un commerçant en cycles", autant dire une pas grand-chose pour le correspondant local de Ouest-Éclair qui ne devait pas bien la blairer.
Une fois la bénédiction donnée, c'est pas le tout, on organise un défilé pour se rendre au monument aux morts. Monsieur le Curé, très en verve, y récite une courte prière, puis la clique sonne l'appel aux morts. Le Commandant Boisseau n'est pas venu les mains vides : il dépose une palme. Le tout se conclut par la minute habituelle de silence.
Bon, finie la rigolade : retour à la mairie pour le vin d'honneur (tradition républicaine communale) offert par la Municipalité.
Victor Métayer, premier adjoint faisant office de maire, remercie le Commandant Boisseau et Emmerand Bardoul de l'honneur de leur présence, ainsi que le "sympathique lieutenant" des pompiers de Guémené, M. A Bréger (ça ne s'invente pas !), avant de barber tout le monde d'une "allocution de circonstance" (la guerre, la patrie, l'armée, la France, l'honneur, blablabla..).
Histoire de ne pas rester en reste, Emmerand Bardoul, député de Loire-Inférieure, prend la parole pour remercier le Commandant Boisseau et M. Victor Métayer. Il enchaîne sur une "allocution de circonstance", citant quelques faits concernant les événements actuels (la guerre, la patrie, l'armée, la France, l'honneur, blablabla..).
Applaudissements croisés et tchin tchin à ta santé.
Pendant ce temps là, les familles de communiants commencent de s'en mettre aussi plein la lampe.
Dans le fond, vue la période, il n'était pas si sot de prévoir simultanément le secours de la religion et celui des pompiers. Et du vin blanc, bien entendu.
Bonjour
RépondreSupprimerJe suis la petite fille de Mme Ribot femme d'un commerçant en cycle et j'aimerais savoir si vous avez connu mon père Roger.