Le vendredi 29 janvier 1932, un événement important secoua les (esprits) guémenois. Ce n'était certes pas l'ouverture du Salon des Arts Ménagers à Paris, ni le froid glacial qui sévissait dans la région (jusqu'à -12° la nuit)
Non. Mais vers 18 heures 30 ce soir-là, Guémené se trouva plongé dans une obscurité complète.
Que cela pouvait-il bien être ? L'électrification complète de la commune, au niveau des infrastructures, était en train de s'achever (de 1924 à 1931, 800 km de lignes à haute tension, 530 km de lignes basse tension ainsi que 175 transformateurs auront été installés en Loire-Inférieure).
Enfin, il resterait à chacun dans les campagnes de prendre l'initiative de son raccordement. Ce n'est qu'en mars 1932 que le "Syndicat" intercommunal en charge des infrastructures justement avertissait les guémenois de ne se fier qu'à des artisans de confiance, ceux qu'ils connaissaient. Bref, les arnaques devaient être légions, et les raccordements peu nombreux encore (cf. vidéo en fin de post).
L'obscurité complète dont il est question devait donc concerner ceux du bourg qui avaient déjà effectué leur raccordement, les rues de Guémené peut-être aussi. Et en plein hiver, à 18 heures 30, comme chacun sait, il fait nuit, la lumière est allumée.
Les Autorités tentèrent tout ce qu'elles purent pour rétablir le courant. Mais rien n'y fit, et elles décidèrent de lancer leur plus fin limier sur la piste de l'incident. C'est donc le "dévoué" Chef de secteur, M. Auguste Fouchet, âgé de 39 ans (un esprit mûr mais alerte), qui entreprit une fastidieuse visite de la ligne. Comme on s'en doute, ce n'est qu'après de longues recherches qu'il localisa l'origine du problème.
Quelle ne fut en effet pas la surprise de notre Sherlock Holmes des électrons excités, de découvrir entre les poteaux 221 et 222 (qui, comme chacun sait, sont situés sur Beslé à la lisière de Pierric, en bordure de la D 46 (à l'époque Chemin de Grande Communication 46)), de trouver, dis-je, un dispositif maléfique, un véritable attentat contre la Fée Electricité. Comme le constate avec bon sens la presse de l'époque, une telle machination ne pouvait relever que d'un acte de malveillance et certes pas du geste écervelé d'un enfant.
Jugez-vous même.
Une lanière longue de rien moins que de cinq mètres, confectionnée de ronces réunies, à laquelle on avait attaché une pierre de 4 à 500 grammes assez lourde pour en faciliter le lancement, embrassait dans une étreinte funeste trois fils de la ligne à haute tension, causant un court-circuit fatal dont les répercussions d'ailleurs allèrent bien au-delà de Guémené, jusqu'à la centrale électrique de Saint-Nazaire !
Des ronces tressées... : il faut un homme déterminé et habile ; une pierre assez lourde... : un esprit féru de physique newtonienne. Le sabotage de la ligne à haute tension, dans ces conditions, devait bien être l'oeuvre de quelque anarchiste chevronné, d'un de ces chemineaux apatrides qui se coulent dans les fourrées de nos campagnes, à la vesprée ou par une nuit sans lune.
Une plainte fut déposée auprès de la gendarmerie par la Société de la Basse-Loire (il doit s'agir d' Energie Electrique de Basse-Loire, EEBL) qui, comme le souligne la presse, "d'ordinaire nous donne satisfaction".
Comme de juste, la gendarmerie fit diligence et le coupable fut démasqué rapidement. Ainsi, on apprend dès le 4 février 1932, soit moins d'une semaine après le forfait, de nouveaux détails qui éclairent - si je puis me permettre - les circonstances de l'attentat grâce à des témoins de première main.
C'est d'abord François Julaud, 52 ans, marié et père de quatre enfants, cultivateur à la ferme de la Fontaine de Trenon, qui a aperçu des lueurs au-dessus de la ligne électrique. Puis c'est Jean Ferré, conseiller municipal de Pierric - et donc un véritable témoin de moralité -, demeurant au village tout proche de la Boulerais, qui passait sur la route à bicyclette et qui vit, juste au-dessus des pâtures du lieu-dit les Bouillons de Trenon, les ronces fatales enroulées sur les câbles.
Bref, que du lourd.
On imagine bien le Père Julaud, 52 ans, en parler à sa femme Eulalie, qui en parla à sa voisine de ferme de la Fontaine Trenon, la Veuve Bourgeon. Une bien brave femme, la Veuve Bourgeon, et courageuse avec ça, qui tient son exploitation avec ses trois enfants et ses deux domestiques, la Germaine Blondel et le petit Joseph, un gars de 15 ans né natif de Langon, de l'autre côté de la Vilaine, et qui vient d'arriver comme valet de ferme depuis quelques mois.
Le petit Joseph, il gardait justement les vaches aux Bouillons, au moment du drame : il doit bien savoir quelque chose.
Mais sitôt questionné, prenant conscience de son infâme forfait contre le Progrès, cette graine de Bonnot avoua sans détour en être l'auteur. Et la Veuve Bourgeon de s'écrier ! Et le Père Julaud de dire qu'il l'avait bien dit ! et Jean Ferré de conter l'histoire partout dans le pays !
Que devint le petit Joseph qui savait tresser des lanières de ronces et faire des frondes pour tuer le temps en gardant ses vaches, et pour qui l'électricité devait bien paraître encore lointaine dans son quotidien ?
On ne sait : peut-être la découvrit-il dans la cellule de la gendarmerie de Guémené...
Enfin, voici quelques illustrations pour finir de se repérer dans cette sombre histoire.
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