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dimanche 13 avril 2014

La mère Gadrouille


En juin 1913, Joseph Philippe, âgé de 50 ans, est présenté comme marchand d'anguilles à Guémené-Penfao. Présenté au Tribunal correctionnel, qui le condamne à six jours de prison avec sursis pour avoir "soustrait" un porc au préjudice d'un agriculteur de Pipriac...


Il y avait bien alors au moins un Joseph Philippe, à Guémené, et il habitait à l'Epinay, dans la maison voisine de celle des parents de celle qui serait ma mère.

En tout cas, si ce n'était pas le même Joseph Philippe, la coïncidence serait étrange, car le voisin de l'Epinay, né le 17 décembre 1862 au village de Beix, avait bien également l'âge du prévenu voleur de porc et vendeur d'anguilles.

Et quand j'ai évoqué avec ma mère un marchand d'anguilles à Guémené, son souvenir s'est spontanément porté sur l'épouse de Joseph Philippe, Julienne Fournel, née en 1870 : le faisceau de présomption s'épaissit, car si le mari péchait, la femme pouvait bien commercer.

Ces gens étaient de très lointains cousins et il y a fort à parier que la connaissance de ce cousinage n'existait pas alors. Ils avaient trois enfants : Joseph, né en 1892 ; Julien, né en 1903, et Virginie, née en 1907. J'aurai l'occasion de revenir sur leur cas.

Le Père Philippe arborait une belle paire de bacchantes. C'était apparemment un assez bon bonhomme qui donnait un gros sous quand on venait lui souhaiter sa fête ou en quelque autre circonstance. Il était cultivateur, mais avait dû apprendre un autre métier car en 1911 on l'annonce "charpentier". Il mourut le 1er mars 1940, pendant la Drôle de Guerre.

Julienne Fournel était née en janvier 1870, pendant la guerre franco-prussienne, à Guémené, à l'Epinay précisément. La vente des anguilles dont elle fit ultérieurement activité, suppose un certain bagout. Et à force de parler, on attrape soif. 

Les enfants de l'Epinay, qui à l'instar d'autres enfants n'étaient pas forcément gentils (c'est même rarement le cas), l'avaient surnommée la Mère Gadrouille. Bien difficile de savoir l'origine de ce terme. Mais à l'évidence pour tout le monde, cela venait souligner le fort penchant de cette pauvre dame pour le litron. Son régime la soutint quand même patriotiquement jusqu'à la Libération car elle disparut en novembre 1944.

Le Père Philippe ne devait pas trop apprécier l'inclinaison vers la bouteille de sa moitié. Mais cela valut à ma Grand-mère Gustine et à ma mère une invitation au mariage du fils cadet, Julien, qui eut lieu à Guenrouët. 

Gustine avait pour mission expresse de surveiller la mère du marié et de lui éviter de céder exagérément aux délices de Bacchus. Pas sûr que ma grand-mère ait pris ombrage du côté utilitaire de cette invitation : elle aimait trop "la toilette" et sortir.

Sans doute Julien, le cadet, fut-il le bon fils, quand Joseph, l'aîné, fut le mauvais. Celui-ci vivait encore à la maison familiale en 1911. Il était venu au monde un 24 décembre mais ce ne fut ni un saint, ni un petit jésus.

Il avait appris le métier de tailleur, mais il devait avoir bien du mal à s'asseoir en (tailleur). En effet, il lui manquait une jambe. Même sur ses deux pieds (c'est une façon de parler), il n'était pas bien grand, ne mesurant qu'un mètre cinquante. Il avait le poil châtain, comme ses yeux. Un menton à fossette venait agrémenter son visage.

On ne sait quel accident vint le priver avant ses vingt ans de sa jambe gauche. Cet unijambisme le préserva en tout cas de perdre plus, entre 1914 et 1918.

Son père le ficha dehors pour une raison inconnue des chroniqueurs. Il mena ensuite une vie d'errance commerçante, emplie de médiocrité probablement.

Il laissa quelques traces aux greffes de la police des chemins de fer et de tribunaux (Seine-Inférieure, Toulouse,..), d'où s'ensuivirent quelques condamnations (amnistiées) pour défaut de billet. Son existence s'acheva à Nice le 20 mai 1932.

Quant à la fille Philippe, elle était venue à Paris et y tenait un salon de coiffure au 104 de la rue Caulaincourt. Elle habitait rue Lebouteux, dans le 17ème arrondissement, une chambre de bonne qu'elle céda à ma mère en 1947. J'y suis né (pratiquement) et mon fils aîné y habite encore.

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