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samedi 22 juin 2013

La croix et la manière (4)


Voici le quatrième et dernier volet de l'inventaire tentatif des croix et calvaires situés sur la commune de Guémené. A vrai dire, je sais déjà que j'en ai oubliés, rencontrés jadis au détour d'une promenade et que je ne sais pas retrouver pour le moment. Il y aura donc un jour un addendum à cette série. Je suis d'ailleurs preneur de toute indication susceptible de m'aider à compléter la collection.

Dimanche dernier donc, de bon matin, je suis parti arpenter les chemins de Guémené, au Nord du Don, dans la quart de la commune qui englobe ses confins vers Massérac autour du village de Feuilly, puis Beslé ainsi que le bourg de Guémené et les villages les plus proches (cartes en fin d'article).

Il est bien agréable, dans la lumière oblique et la fraîcheur matinales, de parcourir la contrée. Les fossés envahis par la végétation frémissent au passage de quelque boule de poils fauves ; de hautes clochettes mauves s'agitent dans la brise : lapins et digitales s'éveillent dans le souffle tiède de cette matinée prometteuse.

Ma première station s'effectue à l'Est du bourg, à quelques pas du village de la Potinais (16), au carrefour des routes qui mènent de Launay de Beix à ce village et de la Boule d'or à la Cadorais et Pussac.

En lisière d'un bosquet se dresse une croix argentée en fer forgé sur un socle blanc au milieu duquel une niche recèle une Sainte Vierge (ou Sainte Anne ?) emprisonnée derrière une grille. Le socle est crépi et des "décorations" polygonales s'aperçoivent ici ou là.







La croix est frêle et plutôt originale par rapport à tout ce qu'on a déjà vu. La figure du Christ tient une place assez secondaire dans l'économie de l'objet, où le souci de décorer paraît l'emporter sur la dimension religieuse : c'est une croix baroque, toute en ornementations et arabesques. On a cru bon par exemple d'ajouter ces deux petites ailettes (des feuilles ?) qui partent de l'intersection des bras de la croix. Le Christ est peu expressif et paraît s'ennuyer ou attendre quelque chose, comme si la scène n'était pas tout à fait en place.







Au pied de la croix un monogramme ouvragé désigne un commanditaire. J'avoue ne l'avoir pas identifié. On reconnaît un "H" et un "S" inversé, tricotés avec une troisième lettre difficile à définir.



Plus bas, dans le socle, une sainte lève les yeux au ciel, implorant pour sa libération de la cellule en amande où l'on a cru nécessaire de la confiner...



Je poursuis justement mon chemin à l'Est, vers la Cadorais, à un kilomètre de cette première halte du jour. Peu avant d'y arriver, un nouveau carrefour se présente. Adossée comme précédemment à un paquet d'arbres, une nouvelle croix a été plantée (17).







Elle fait sérieusement contraste avec celle évoquée juste avant, par sa sobriété sombre. Pas de fer ouvragé, pas de crépi "décoré", aucun personnage, aucune trace d'entretien récent. Une croix en rondins de pierre sur un socle de frustre maçonnerie, dans un nid d'herbes folles. Le lichen seul vient donner de la nuance au gris de l'ouvrage. Ce que ce monument célèbre demeure secret.


 







Je quitte cet énigmatique emblème pour le Pâtis Chérué (18). Je prends la route qui remonte vers la Landezais et la chapelle Saint-Yves, que je suis sur un petit kilomètre, après le croisement avec la route de Massérac.

Quand on arrive à hauteur de la ferme du Pâtis Chérué, sur le bord de la route à gauche, surgit la troisième croix de ce périple. Elle est circonvenue par la végétation, mais en l'occurrence, tout semble sous contrôle : des fleurs et des arbustes taillés attestent de l'entretien et de la considération des humains.







L'ensemble, composé uniquement de pierres, semble plus travaillé que la composition précédente : les bras de la croix se terminent par un évasement décoratif ; le socle est couronné d'une belle pierre plate ; un cartouche illisible trahit une intention aujourd'hui perdue. Un Christ a dû séjourné sur cette croix jadis : des petits trous de fixation sont encore visibles. Même le lichen est passé du mélange ordinaire de noir et blanc au Technicolor.






J'entends un bruit de tracteur, la ferme s'ébroue, je pars. La route me conduit à celle de Beslé, à mi-distance de Guémené et de sa "trêve" (paroisse fille). Je redescends vers le Pont-Esnault et m'arrête à hauteur de l'allée qui mène au château de Tréguel où m'attends l'objet suivant de mes préoccupations (19).





Là, je parle d'une croix de riche, un fier ensemble, élégant, svelte, élancé, dominateur.

J'ai failli ne jamais m'intéresser à cet ouvrage qui me semblait factice. C'est que, de loin, la magnifique croix de schiste bleu-gris, d'un seul tenant peut-être, à l'air d'avoir été moulée dans du plastique. Il faut la voir de près pour en savourer toute la beauté. Sa partie supérieure comporte des bras dont l'extrémité est courbe et convexe (croix "pattée alésée arrondie"). La hampe fine est supportée par une partie rectangulaire et repose sur un socle de pierres bien équarries où la date de l'ouvrage, 1909, est inscrite.







Sur la partie rectangulaire à la base de la croix, figure une inscription en latin : "SALUT PÈRE ", suivie d'une autre en français "Miséricordieux Jésus donnez leur le repos éternel". Qui sont donc ces gens décédés au profit desquels cette invite est formulée ? Mystère. Autant d'ailleurs qu'est mystérieuse (pour moi) la dernière mention gravée au bas de ce cartouche minéral : "7 ans et 7 quarantaines"...







J'abandonne la croix de Tréguel à ses mystères, et me rends à Beslé. Je m'arrête dans le bourg, route de Beaulieu (20) près d'un petit écrin spécialement aménagé pour accueillir une autre croix, associée quant à elle à la bonne société plutôt qu'au monde paysan. Pas d'herbes folles, mais des massifs entretenus ; une construction robuste dominée par le granit.





Les personnages associés à cet ouvrage ne sont pas le Christ ou quelque sainte ou ange. Non, ce sont en quelque sorte des "propriétaires" (ou des contributeurs) : le Révérend Père Laurent qui a donné la croix ; la famille des seigneurs du lieu, les Hervé de Beaulieu, à qui l'on doit cette érection ; le curé Guilbaud, enfin, titulaire de la paroisse de Beslé.







Je quitte ce monument destiné à l'édification religieuse - et surtout sociale - des paroissiens de Beslé  pour gagner l'entrée du château de Trenon, toujours donc sur le territoire de Beslé, en allant vers l'Est (21).

Cela n'est pas sans rappeler l'étape précédente : un enclos ; une croix sans figure, posée sur plusieurs niveaux de socle ; les quelques marches qui entourent le monument. Il y a quelque chose de plus noble que dans la croix précédente et surtout de moins vain : l'entrée de l'enclos correspond à celle d'un domaine avec ses deux piliers de pierres et sa grille ; mais d'un autre côté, aucune mention ostentatoire ne pare ce monument d'une apaisante intemporalité.

Les grilles rouillées de l'enclos, les herbes folles et le lichen qui ronge les pierres et efface les inscriptions, traduisent l'emmêlement, dans une fusion d'usure ou d'abandon, du végétal, du métal et de la terre.















Adieu noble terre des Saint-Germain. Je laisse Trénon et retourne vers Guémené, vers ma Hyonnais, et je gagne l'antique Vieille Cour (22).

Comme souvent au seuil de l'allée qui conduit à un manoir, ses habitants anciens ont jugé bon d'y édifier une croix. Celle de la Vieille Cour ne paraît pas dater d'hier. C'est probablement la moins "tape-à-l’œil" des croix d'entrée des demeures nobles.

Qu'en dire ? Nichée contre le mur du domaine, assiégée par les herbes sauvages, cette croix blanche et trapue, rustique, est soutenue par un socle de maçonnerie assez grossier, plus paysan que seigneurial. Ce n'est plus qu'un vieux souvenir laissé sur l'étagère des coutumes anciennes.













Il est temps de revenir "en ville". Je porte mes pas - ou plutôt mes roues" vers le bourg de Guémené et je m'arrête au pied du Boulevard, derrière l'église (23).

Il y a là un calvaire qui m'est très familier. Je me souviens ainsi y avoir stationné il y a fort longtemps, lors d'une fête Dieu où les bonnes soeurs nous mettaient en rang avant de défiler. Je l'associe aussi au peintre Trivière, dont la boutique était toute voisine, et à laquelle ma grand-mère Gustine se rendait, me semble-t-il, pour un oui ou pour un non, pour un carreau cassé ou pour un coup de peinture, pour des fleurs funéraires en plastique ou pour du flytox.

Ces temps lointains sont vaincus : les herbes folles là aussi (mais pourquoi là, bon sang !) ont pris possession des lieux, comme l'oubli qui ensevelit tout.

Pour m'accueillir pourtant, comme en écho des souvenirs de l'enfance, c'est bien naturel, un chat qui me fait un clin d’œil...









Peut-être en raison de la prégnance des souvenirs d'enfance, du temps où j'étais "petit", ce calvaire m'a toujours paru gigantesque. Et curieux : pourquoi diable le Christ est-il rose ?!

Sa figure est pathétique : un mélange de souffrance et de résignation, un caractère ineffablement doux. Le vent, la pluie et les oiseaux ont usé et sali la sculpture, ajoutant l'outrage du présent à l'outrage de la Passion passée.








Mais le bourg recèle hélas un autre calvaire un peu malmené, je veux parler de celui de la Grée-Bréhaut, sur la Butte (24).

On ne le voit pas sur les photos que je publie ci-après, mais ce calvaire est un peu à l'abandon aussi. Des gravas, par exemple, en jonchent l'accès.




La figure du Christ est intéressante parce que le sculpteur a pris le parti de le montrer mort, contrairement à ce qu'on voit en général, et dans le calvaire précédent, en particulier. En gros-plan, la tête a un air de Che Guevarra mort, avec la rouille qui serait du sang.







Le socle est soutenu par quelques marches mangées d'herbes et de mousses. Un cartouche rappelle une "Mission".







Il est temps de finir cette longue errance sur les chemins des croix. La fin se trouve ainsi à Coisfoux, à l'angle du chemin qui pénètre ce village proche du bourg et de la route de Derval (25).


Certes, une affreuse cabane de tôles vertes (sans doute fort utile) pollue par sa présence le paysage et ne permet par de jouir pleinement de la vue de ce monument. Mais faisons-en abstraction car cela en vaut la peine.

Sur un socle rustique de pierres bleues, couvert comme à l'accoutumé par une plus grande pierre également de schiste, s'élève une croix métallique massive et toute rouillée au pied maçonné et blanchi.





Trois personnages : un petit Christ et deux anges.







Le Christ semble posé comme par obligation : service minimum au profit de l'ornementation. La croix est "patonnée" : ses extrémités s'évasent sur le côté et présentent une pointe en leur milieu.

Les quatre bras sont ornés de motifs végétaux, tandis que derrière la tête du Christ des décorations géométriques ont été sculptées

La tête du Christ semble bien rouillée et les traits s'estompent un peu.











Mais la figure de l'ange, d'indicible grâce, veille et je ne crois pas rêver en disant qu'un sourire l'illumine de douceur, illuminant aussi le point final de cette série.





Je replace ci-après, comme promis, les deux cartes (après mise à jour) des emplacement de toutes les croix et calvaires recensés. On observe de vastes zones vierges au Nord et au Sud de la commune, ce qui laisse supposer d'autres sites, oubliés. On en reparle quand il y aura de nouvelles découvertes ou quand vous voudrez, sinon. Bon week-end et à bientôt.




4 commentaires:

  1. Dommage ! vous êtes passés près de chez nous ... mais l'un des rares jours où nous étions absents !

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  2. L'été approche, et avec lui les vacances...j'aurai alors d'autres occasions de passer près de chez vous...A très bientôt sûrement !

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  3. Avez-vous noté qu'alors que les Christs arborent habituellement des anatomies plutôt discrètes, celui de la croix numéro 16 affiche un physique exubérant, avec ses hanches généreuses et ses muscles saillants, si bien qu'on dirait une danseuse culturiste égarée au Crazy Horse et qui lève à bout de bras deux grandes plumes d'autruche ? On soupçonne que le pagne glissera au tableau suivant.

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    1. Oui et en plus, le petit noeud sur le côté des fesses renforce ce côté cabaret que vous avez fort à propos noté.

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