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dimanche 2 mars 2014

Inauguration ferroviaire


L'histoire se déroule sous le septennat d'Armand Fallières, dit "le Père Fallières", un bon gros bonhomme de président de la République comme on n'en fait plus : un homme populaire et plein d'humour. Il ne sollicita pas de second mandat car, disait-il, "la place n'est pas mauvaise, mais il n'y a pas d'avancement"...



Son mandat débonnaire ne fut pas exempt de difficultés : commencé en 1906, il couvre une période de troubles intérieurs (séquelles de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, agitation sociale) et de périls extérieurs montants.

C'est dans ce contexte que se tient une bien touchante cérémonie à Guémené, le dimanche 3 juillet 1910, à savoir l'inauguration du dernier tronçon de la ligne de chemin de fer qui conduit de Nantes à Rennes, via Blain, Guémené, Beslé, etc...et de sa gare, en bordure de la route de Redon.



La description des festivités ayant accompagné cet événement fait l'objet d'un assez long article dans le journal Ouest-Éclair. Où l'on voit comment la République se célèbre à travers ses réalisations.

L'article débute par une évocation du décor : "...Guémené avait revêtu ses atours des plus beaux jours de fête. Pas une maison, même la plus pauvre, qui n'ait eu son drapeau ou ses lampions."

Le lampion et le drapeau : voilà la République ! Les fêtes d'inspiration cléricale donnent plutôt lieu, pour leur part, à des décorations végétales : arcs de triomphe de verdure, jonchées de fleurs,...

Mais la République aime aussi la musique, et si le clergé chante des cantiques a capella dans les processions, la musique municipale, renforcée pour l'occasion par la fanfare des chemins de fer de l'Etat, inonde les rues de Guémené du son de ses cuivres.

A l'arrivée du train de 7h12 en provenance de Rennes, tout une population se déverse sur le nouveau quai. Il y a déjà la fanfare ferroviaire et son chef, M. Quénet, remarquable par l'uniforme, dans la foule des voyageurs.

Mais cette foule, ce sont surtout des pêcheurs venus participer au concours organisé par la municipalité de Guémené. Venant des localités possédant une gare sur la ligne, on les appelle des "gariers".

On n'est pas sûr de voir le rapport entre la pêche et les chemins de fer (à part la "ligne"....), mais bon...

"Plusieurs commissaires des fêtes, parmi lesquels nous reconnaissons MM. Chollet, Carudel et Durand, étaient venus au devant d'eux". Trois baudruches gonflées de leurs responsabilités. Comme quoi la fête, ça ne rigole pas ! Chollet devait être agent-voyer, Carudel, clerc de notaire et Durand futur maire ou bien adjoint (selon qu'il s'agit du fils ou du père Durand).

Mais bon, le temps passe et on ne peut pas passer le temps qu'à picoler. Sur les 8h30, un des fameux commissaires enregistre les engagements au concours de pêche et fait tirer au sort le numéro des places le long de la rivière.



Environ un quart d'heure plus tard, "tous les pêcheurs, 1’ « arme » sur l'épaule droite, précédés de la musique municipale de Guémené, se rendent sur les bords du Don. Le concours doit durer jusqu'à onze heures." On imagine le défilé, entre la mairie et le pont de la Rondelle...

Le concours fini, on enregistre les prises. Pendant ce temps-là, un nouvel arrivage se produit à la gare : "A 11 heures et demie descendent du train de Nantes, M. Rault, préfet de la Loire-Inférieure, et le sous-préfet de St-Nazaire, M. Blet, accompagnés de MM. Perrier et Machenaud, ingénieurs."

Bref, du lourd. Pour faire face, sur le quai pas moins que le maire, M. Simon, entouré de ses vingt-deux conseillers municipaux, et, tant qu'à faire, les édiles des communes environnantes (qui n'ont pas le train...).

Tassés dans le jardin de la petite gare on trouve les pompiers qui font la haie d'honneur à toutes ces huiles. Soudain, dans un élan patriotique et républicain, les fanfares entonnent la Marseillaise.

Une fois que les carcasses chamarrées eurent vibré au son de l'hymne national, la troupe des officiels gagne la mairie où l'on se présente et congratule avant de se remplir la panse.



Il est midi en effet, le banquet débute dans une salle du bâtiment municipal. Passés quelques plats et lampées, le temps du dessert et des discours est venu. Chacun y va de son couplet.

Le maire de Guémené qui en a bavé pour obtenir sa ligne de chemin de fer, après un long rappel de la longue histoire du projet, "parle des difficultés rencontrées dans le début." Mais conclut en stoïcien que "tout vient à point à qui sait attendre".

M. Pouplard, Auguste, maire de Blain, qui avait probablement le vin triste et nostalgique, "rappelle les liens qui réunissaient autrefois les deux villes et il assure que la nouvelle ligne ne fera que les resserrer". Comme quoi, y avait quand même un peu de mou dans l'amitié intercommunale...

L'ingénieur en chef Perrier, qui ne met en général pas d'eau dans son vin, "parle des transformations que doit subir la ligne", sans qu'on sache vraiment de quoi il retourne.

Le préfet Rault est bien le meilleur. Après avoir salué l'empressement de la municipalité et de la population à fêter l’événement, il conclut en levant son verre "en l'honneur du Président de la République", on ne sait pas pourquoi.

Café et pousse-café : il va falloir songer à se ramasser. "Les musiques accompagnent le préfet et le sous-préfet à la gare, pour le train de 3 h. 30", puis reviennent "en ville donner de nouveaux concerts sur toutes les places" (on se croirait à Paris !).

Pendant que la croisière des officiels s'amuse, le populo se donne du bon temps également. Tout un arsenal de compétitions et de distractions a été prévu à cet effet, outre le concours de pêche : des courses de bicyclettes, un concours de tir à l'école de garçons, un mât de cocagne et un tourniquet (manège) sur la place de l'Eglise. Le tout sous une pluie battante, vengeance du Bon Dieu à qui cette République est hostile.

Bientôt c'est la remise des prix pour les différents concours.

Honneur à la pêche : prix du plus gros poisson, prix du premier pris, prix du plus grand nombre, du plus grand poids, prix "spéciaux" offerts par la Gaule du Don...

Le concours de tir donne lieu de son côté à la remise "d'objets d'art" à quatorze nemrods de foire.

Enfin le concours de bicyclettes fournit aussi son lot de gagnants, qu'il s'agisse des épreuves cantonales, régionales ou...internationales.

Pour ces dernières, l'horizon semble toutefois assez borné, les vainqueurs étant natifs de Fay-de-Bretagne, Nantes ou Lorient, certes ouverts sur le monde,.....

Comme il se doit dans tout bon spectacle, l'article s'achève sur un générique de remerciements : "MM. Carudel, Morineau, Bret et Boussard qui ont su si bien organiser le concours de pêche ; MM. Rafflé, Godefroy, Corudes, qui se sont occupés du bal ; M. Cormerais, qui dirigea le concours de bicyclettes."

J'ajouterais bien : MM. Rault et Blet, préfet et sous-préfet, MM. Simon, Pouplard, maires, les pompiers, la clique municipale, la clique ferroviaire, l'ingénieur Perrier et le Président Fallières, qui furent si décoratifs.

Une mention spéciale pour la quarantaine de bistrots qui ont soutenu l'ardeur de la population de Guémené dans son hommage républicain au chemin de fer.

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