Rechercher dans ce blog

samedi 29 octobre 2016

Le désespoir de Perrine Porcher


Voici une histoire triste. On la trouve dans un registre d'état-civil des décès de Guémené du début du XIXè siècle. Je vais en donner bientôt le texte, mais avant quelques remarques.

D'habitude, les "articles" de ce genre de registres s'y succèdent, monotones, empreints d'un style administratif routinier dont en principe rien ne permet de dévier.

Soudain, un fait différent, une mort "extraordinaire" oblige à déroger. Ce qui est intéressant c'est que les faits, tout ce que du coup il faut prendre en compte et coucher sur le papier, doivent néanmoins être relatés sur le ton d'un procès-verbal. 

Or dans ce cas, le style vient lutter avec le contenu. Ce qui fait que l'on arrive à percevoir, malgré la froideur apparente des lignes qui se succèdent, les sentiments, la parole même parfois, des acteurs - vivants ou non - de ce drame.

De surcroît, le texte n'a d'autre objet que d'enregistrer le dénouement de cette histoire, c'est-à-dire un décès, et de s'assurer qu'il n'est en rien criminel. Mais au-delà des besoins de la cause administrative, on  arrive à entendre l'écho inouï d'une souffrance de plusieurs années, celle de la victime, celle de son compagnon d'infortune.

Et puis l'on voit surgir par ailleurs deux personnage aux noms d'un autre monde que celui des victimes, qui forment comme un lapsus social dans cette histoire.

Il s'agit d'un suicide. Mais encore le cadavre retrouvé qui a séjourné cinq mois dans l'eau (!) doit-il bien être identifié, et il faut de plus s'inquiéter de savoir si la cause n'est pas louche : reconnaissance visuelle, autopsie,...On imagine les scènes...

Guémené ne devait a priori rien avoir à connaître de cette affaire. Mais voilà, les caprices des courants d'un fleuve qui baignent l'ensemble des lieux de la tragédie, la Vilaine, ont amené à ce que l'acte final s'achève (in extremis) sur le territoire de cette commune. 

Et qu'on en parle aujourd'hui.


"L'an 1817, le dix avril deux heures après-midi, par devant nous François Simon, maire et officier de l'état-civil de la commune de Guémené, chef lieu de canton, département de la Loire-Inférieure, est comparu Jean Roux, couvreur âgé de trente-six ans demeurant à la Hordrais, commune de Fougeray, 

lequel, assisté de messieurs Pierre Michel Frèrejouan du Saint, premier suppléant du juge de paix du canton de Guémené, et d'Hilarion Sauveur Radigouais, chirurgien, le premier âgé de quarante-deux ans et le second de vingt-six ans, demeurant séparément au bourg de Guémené, nous a déclaré :

- que Perrine Porcher sa femme, fille de Joseph Porcher et de Geneviève Delanoë, native de Langon, avait disparu de chez lui dès le quatre novembre dernier,

- ce qu'ayant, par suite de couches, l'esprit aliéné, elle disait publiquement que la vie lui était à charge et qu'elle se noierait,

- que sept mois avant ledit jour quatre novembre, il l'avait saisie lorsqu'elle voulait se précipiter dans la Vilaine,

- que malgré sa surveillance elle s'échappa et n'étant pas revenue le quatre novembre à la maison, il fit les recherches les plus exactes et parvint le lendemain à trouver au Bout du Grain, au bord de la Vilaine, son tablier et sa jupe de dessous.

- soupçonnant qu'elle s'était noyée, il a fait inutilement pêcher son cadavre dans la rivière, lequel n'a été aperçu que le sept février dernier surnageant au bord de la Vilaine vis-à-vis le Champ du Pressoir près la Trouanière en Guémené

- que ledit Jean Roux a reconnu le cadavre de Perrine Porcher sa femme tant par la physionomie que par ses vêtements.

L'identité de la personne étant reconnue, mon dit sieur du Saint, juge suppléant, a fait constater la cause de la mort le lendemain huit février par ledit sieur Radigouais, officier de santé, lequel après visite extérieure et ouverture du cadavre a affirmé que la personne tirée de l'eau était décédée par submersion et qu'il n'existait aucun signe de mort violente par meurtre ou assassinat.

D'après quoi Monsieur le juge a ordonné l'inhumation du corps au cimetière de Beslé.

Constaté par nous maire susdit sous les seings de Messieurs Frèrejouan du Saint et Sauveur Radigouais et le notre, Jean Roux ayant déclaré ne savoir signer.

De ce nommés lesdits jours et an après lecture."


Quelques compléments :

En réalité, la Hordrais est un village au bord de la Vilaine, en amont de Guémené, aujourd'hui sur le territoire de la commune de Saint-Anne-sur-Vilaine. A l'époque des faits, cette dernière n'existait pas : elle fut crée en 1880 par partition avec Fougeray, (le Grand-Fougeray).

Perrine Porcher était née le 19 mars 1779 au village des Quenairons, à Langon (35), à quelques centaines de mètres de la Hordrais, sur la rive opposée de la Vilaine. Elle s'était mariée le 21 avril 1806 au Grand-Fougeray. Elle était donc mariée depuis plus de onze ans au moment des faits. Onze années de galère morale.

Jean Roux était né pour sa part le 3 octobre 1780 au Grand-Fougeray. Il se remariera en 1819 au Grand-Fougeray avec Jeanne Gicquel  dont il aura l'année suivante un fils qui sera couvreur comme son père. Il décédera le 25 janvier 1830 à la Hordrais.

En fait, Perrine Porcher et Jean Roux avaient eu un fils, Joseph, qui était né le 27 septembre 1808 mais qui mourut âgé de cinq jours. Sans doute est-ce l'événement présenté par son mari comme déclencheur de la dépression de Perrine Porcher.

Hilarion Sauveur Radigouais, est probablement Pierre Hilarion Radigois, officier de santé, né à Couëron le 25 juillet 1790, fils de Sauveur Radigois notaire, et décédé en septembre 1835 à Nozay.

Pierre Michel Frèrejouan du Saint fut notaire impérial puis juge de paix. Il était né vers 1774.

La Trouanière, où fut trouvé le corps de la pauvre femme, est un ensemble de bâtiments à usage d'habitation et d'exploitation agricole, situé en bordure de Vilaine à l'extrémité occidentale de Beslé (fraction de Guémené), tout près de Massérac.

Enfin, un clin d’œil : Marcel Leclerc, commissaire de police,  chef de la brigade Antigang et préfet de police, est né à Sainte-Anne-sur-Vilaine en 1935. Il est issu d'une famille d'agriculteurs du village de la Hordrais...

***

Je profite de cet article pour parler de tout autre chose.

J'ai publié précédemment deux sujets concernant des vieilles photos de vaches et de cochons à Guémené.

Je suis retourné sur les lieux identifiés où furent prises ses images, il y a plus de cent ans, et j'en ai rapporté d'autres clichés, des mêmes lieux. Voici donc ci-après la photo ancienne et des photos modernes. Les angles de prise de vue ne sont pas identiques, mais c'est mieux que rien.

J'ai aussi photographié l'endroit où se tenait le photographe inconnu. Cela peut paraître idiot, mais de me remettre à l'endroit où il était et de matérialiser cet endroit par une image, me le rend proche, abolit vertigineusement le temps...


Place Simon :






Route de Chateaubriand :









Le photographe se tenait devant ce bâtiment



Le Pont de la Rondelle :














Place de la Mairie :



















Affaire à suivre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire