dimanche 17 novembre 2013
Tout Bonnemant
Le 3 janvier 1790 le recteur de Guémené, "vénérable et discret messire" Charles René Ollivier de Koland, disparu des registres de baptême depuis octobre 1789, rend l'âme en son presbytère. Le lendemain, sept prêtres de Massérac, Avessac, Plessé, Conquereuil, Beslé et Vay ainsi que ses deux vicaires, Robin et Saulny, l'accompagnent à son ultime demeure, le cimetière de Guémené, à l'ombre tutélaire de la vieille église où il officia pendant trente quatre années.
Robin et Saulny vont poursuivre leur sacerdoce durant cette année 1790, le premier assurant l'intérim du recteur (il signe : "vicaire et vice-regent"). Bientôt cependant, au mois de mars 1790, apparaît un nouveau prêtre, un certain Jacques Mangeard qui semble faire office de recteur. Grosso modo, ces trois là vont assurer les services, baptêmes, mariages et sépultures tout au long de cette année 1790 et de la suivante.
Cette apparente continuité est cependant menacée par trois textes que vote ou adopte l'Assemblée nationale constituante, à Paris. C'est d'abord la Constitution civile du clergé promulguée en août 1790, qui fonctionnarise les prêtres, puis en janvier 1791, pour ces prêtres, la prestation de serment obligatoire aux lois de la Nation, et c'est enfin un décret de novembre 1791 autorisant les élus locaux à se débarrasser des prêtres opposants (réfractaires). Seul un prêtre sur cinq prêta serment en Loire-Inférieure contre un sur deux au niveau national. Autant dire qu'il y avait du bouleversement dans l'air, en Bretagne. Voyons comment il en alla à Guémené.
Après deux années de calme, les choses paraissent effectivement se gâter début 1792.
C'est d'abord Mangeard qui disparaît de la circulation, bientôt suivi de Robin et Saulny, début avril 1792. Saulny assure encore trois mariages le 3 avril dont l'acte est co-signé par Louis Mahé, François Simon, François Courgeon et François Pichard.
Dix jours plus tard, il n'y a plus de prêtres pour la sépulture de Jean Drion et l'acte est signé de François Jehanne, "Secrétaire Greffier".
Le 30 avril, on voit apparaître un certain Bonnemant (Pierre-Jean) qui signe les actes religieux en tant que "vicaire épiscopal nommé à la desservance des paroisses du district de Blain vacantes par le rappel des prêtres du département de Nantes". Que fallait-il entendre par "rappel" des prêtres ?...On reviendra sur ce personnage étonnant qui assiste à Nantes le nouvel évêque "constitutionnel" Minée (ce dernier finira épicier à Paris, après s'être défroqué et marié...).
Bonnement va faire office de curé de Guémené jusqu'à la mi-juillet 1792. A partir de cet été-là, un nouveau curé, assermenté celui-là, fait son apparition. C'est François Maillard, ancien vicaire de Derval (où il prêta serment au prône de la grand-messe le 3 février 1791), devenu depuis curé constitutionnel de Plessé, et maintenant desservant de Guémené.
Il semble dans un premier temps que Maillard ne puisse assurer totalement son service à Guémené. Plus d'une fois, François Jehanne remplit le registre à sa place, soit pour acter un baptême fait à la maison, faute de prêtre dans la paroisse, soit pour enregistrer un baptême effectué à Conquereuil ou à Vay, pour la même raison. Cette situation dure jusqu'à l'automne.
Le 20 septembre 1792, en effet, la tenue de l'état-civil est retiré aux curés par un décret de l'Assemblée nationale. Le 22 septembre, la République est proclamée.
Le 5 octobre, François Jehanne écrit pour la première fois "An premier de la République sur un registre de Guémené. Le 23 octobre il s'enflamme : "L'an 1792, an quatrième de la Liberté, le premier de l'Egalité et de la République Française..." et se présente : "François Jehanne Secrétaire de la Municipalité de Guémené-Penfao".
On commence à ne plus parler de baptêmes, mais de naissances. Enfin parfois on mélange les deux : "le 28 octobre, an 1er de la république, a été baptisé par le citoyen Maillard, recteur de Plessé et desservant de la paroisse de Guémené-Penfao...".
Le 30 octobre 1792, on signale qu'une naissance est enregistrée "à la chambre commune de ce bourg et paroisse", première mention d'une sorte de mairie à Guémené.
Il faudra attendre encore un an environ pour voir apparaître dans les registres d'état-civil le calendrier républicain. La première date est celle d'un enterrement, le 23 brumaire an II (13 novembre 1793). A cette date, l'enthousiaste républicain François Jehanne ne signe plus les registres.
Et les autres ?
François Maillard sera plus tard maire de Guémené, percepteur et à nouveau vicaire. On dit que pendant son sacerdoce à Plessé, il dénonça un chapelain réfractaire (Gilles Gergaud) qui mourut noyé dans les "baptêmes républicains" (ou "déportations verticales") auquel Jean-Baptiste Carrier se livrait à Nantes.
Robin, l'ancien vicaire de Guémené d'avant la Révolution, finit curé du Gâvre, après avoir été vicaire clandestin de Guémené entre 1795 et 1799. Mangeard redevint curé de Guémené vers 1800.
Pierre-Jean Bonnemant, avant de devenir vicaire épiscopal constitutionnel, était un prêtre "normal" qui se vouait à l'enseignement notamment des langues. Très en faveur de la Révolution, il s'engage dans l'armée des volontaires de la République en l'An II où il devient sergent-major. On le retrouve cependant à l'Ecole Centrale, où il enseigne les langues anciennes à partir de 1796. Vers 1802, il va enseigner le latin au Lycée Impérial. On ne sait quand prend fin son enseignement. Il meurt à Nantes, rue du Moulin, le 17 novembre 1836, âgé de 82 ans, pensionné de l'Etat et prêtre habitué à Saint-Similien et Saint-Pierre.
Le bref passage de ce personnage à Guémené (deux mois et demi) aura marqué le début de la sécularisation de l'état-civil.
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