dimanche 9 février 2014
Brique-arbonate de soude
Il est un coin non loin de Beslé, de l'autre côté de la Vilaine, où je ne passe pas sans un titillement de nostalgie : celle d'une campagne industrielle disparue dont témoignent encore les vestiges de la briqueterie de la route de Langon avec son haut-fourneau tout chancelant. C'est une trouvaille journalistique qui m'amène très indirectement à l'évoquer.
La renommée de la "trêve" de Beslé (section de Guémené-Penfao) a atteint les montagnes suisses de la région de Neuchâtel vers 1894, Fidèle Simon fils étant Maire et Pierre Chesnet, son adjoint. Nul doute qu'un monument à notre bourgade n'ait été érigé, au moins dans les coeurs (ou plutôt : les estomacs) des neuchâtelois les plus dyspeptiques.
Il n'est pas sûr que la réciproque ait été vraie et que Neuchâtel ait occupé les esprits des habitants de Guémené. Sauf peut-être ceux de la famille Bricaut, et peut-être aussi de Fidèle Simon Maire fils de Maire, ou encore de Pierre Chesnet, son adjoint.
En effet, la très sérieuse et respectée "Feuille d'avis de Neuchâtel et du vignoble neuchâtelois", le plus ancien journal de langue française au monde, créé en 1738, en son numéro 305 du 27 décembre 1894 publie à sa page 3 une longue colonne que l'on appellerait aujourd'hui dans le jargon de la communication un "testimonial", c'est-à-dire un pseudo témoignage à vocation publicitaire, vantant d'expérience les bienfaits d'un produit.
De quoi s'agit-il au juste ?
L'article commence par une longue digression où l'on apprend que l'empereur Marc-Aurèle était un homme simple qui mangeait comme un paysan. Entendez : frugalement. Il n'avait donc pas d'indigestion, ni aucun autre trouble de la mal bouffe. Le brave homme !
Cette habile et historique introduction permet de mieux mettre en relief les malheurs gastro-intestinaux de M. Bricaut. Celui-ci est présenté comme "contre-maître briquetier à la briqueterie-mécanique de Beslé, à Langon, par Redon (Ille-et-Vilaine), par Guémène (sic !) (Loire-Inférieure)".
Je n'ai pas besoin d'insister sur la distance qui sépare Neuchâtel de Beslé, et sur la performance que représente cette liaison : il suffit de voir le peu de précision de la localisation du sieur Bricaut pour comprendre que de l'information s'est perdue en route.
Ce brave Bricaut briquetier avait eu mal au ventre pendant trois ans. Soit donc depuis 1891, année (est-ce totalement un hasard ?), où, comme on sait, le Pape Léon écrivit Rerum Novarum, une bafouille où il s'intéressait aux travailleurs (et donc aux briquetiers).
Cette maladie le faisait tant souffrir qu'il finit par se restreindre. Il en découla un amaigrissement épouvantable. Tout cela était d'ailleurs assaisonné de maux de têtes affreux, d'insomnies et, si par hasard le briquetier s'assoupissait, de cauchemars terrifiants suivis de réveils suffocatoires.
A cela, ajoutez un zeste de constipation et vous aurez saisi le calvaire gastro-intestinal du pauvre Bricaut. Pour bien apprécier le tragique de la situation, ce dernier fournit d'ailleurs ce touchant détail : "Aucun remède ne me permettait d'aller à la selle sans effort". Consternation dans le Neuchâtelois !
Le témoignage se poursuit alors par le cheminement vers le remède qui sauva notre ami.
Sa situation empirait au point que, chargé du contrôle d'un four à briques, le brave homme affaibli peinait à remplir sa tâche. Voyant le jour où il serait amené à abandonner sa mission, il se mit à consulter force médecins avec pour seul résultat non seulement la persistance de son mal à l'estomac, mais également une douleur au portefeuille.
Heureusement, un ami, le public ou le 50/50, on ne sait, lui apporta le remède à ses interrogations : oui, Oscar Fanyau, pharmacien à Lille, disposait bien de la solution miracle : la Tisane américaine des Shakers, en flacon.
La suite, je ne vous la fait pas.
Le "témoignage" s'achève par la signature du briquetier guéri, suivie de la mention suivante : "Vu pour la légalisation de la signature apposée ci-dessus de M. Bricaut...Pour le Maire, le conseiller municipal délégué, Pierre Chesnet". Histoire de faire vrai.
Le journal ajoute pour les suspicieux ou les curieux, que le Maire de Guémène (sic !) est M. Fidèle Simon que M. Pierre Chesnet remplace en son absence. On peut sans doute même ajouter que le journaliste de la feuille de choux suisse remplace aussi M. Chesnet en son absence...
L'article se termine enfin sur une leçon de morale sur la propreté : l'homme doit se laver le corps extérieur ; mais il doit aussi entretenir sa propreté intérieure en chassant les saletés avec ce savon pour les tripes que représente la Tisane américaine des Shakers et en rendant à l'estomac et aux intestins leur destin premier : "convertir les aliments en chair et en sang".
Il y avait bien une famille Bricaut à Beslé à cette époque-là. Julien et Phylomène Bricaut étaient en réalité buralistes et affligés de six enfants dont trois adolescents briquetiers.
Nul doute, en effet, qu'ils avaient des raisons d'avoir mal à l'estomac.
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Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens de découvrir que le nom d'un de mes ancêtres est mentionné dans plusieurs de ces "publicités"... Et je n'ai pour ma part rien qui me permette de dire si vrai ou faux.
Un article dans la revue PERSÉE résume l'activité commerciale florissante de la pharmacie en question... mais rien n'y est dit des conditions d'utilisation des "témoignages"... Savez-vous de votre côté si la famille que vous mentionnez a donné son accord, a conclu un contrat, ou si tout cela s'est fait sur son dos, au culot...
Merci de votre réponse.
Cordialement,
Sophie Bédourède