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dimanche 23 septembre 2012

Fête Dieu


Parmi les nombreuses choses qui ont fait de Guémené un endroit "exotique", dans mon enfance, il y a la religion. Non pas que mes parents ne s'y intéressaient pas (mon père surtout, en bon italien), mais il y avait là quelque chose de particulier, une ferveur ritualiste et démonstrative, morbide aussi, qui n'avait rien de commun avec la religion sobre et un peu intellectuelle de Paris, circonscrite à la messe du dimanche et à un catéchisme tellement léger (heureusement !) que c'est à peine si je me le rappelle.

A Guémené, on ne se posait pas de questions : on allait à la messe le dimanche, à la Grand-messe ou à celle de 10 heures et il fallait "s'habiller" ; on allait à tous les enterrements possibles et imaginables ; l'église d'ailleurs était plus grosse et plus centrale qu'à Paris ; les crucifix étaient partout dans les maisons, parés de buis à la saison, comme les calvaires au bord des routes ; les gens chuchotaient sur les divorces, sur des extrêmes onctions, sur des baptêmes ; monsieur le curé en habits sacerdotaux ; les hommes se passaient du tabac à la fin de la messe.

Laissé aux mains de ma Grand-Mère Gustine et de ma tante Madeleine-qui-m'a-élevé (ah, regrettée Dédeine...), pendant les deux trois mois de l'été, j'ai pu goûter à pleines dents à tout cela et m'en repaître.

Dans ma boite à photos "noir et blanc", il y en a une que je voudrais vous révéler. Elle me paraît typique de ce que j'évoque puisqu'il s'agit de la procession de la Fête-Dieu.

Je n'ai bien entendu jamais participé à quoique ce soit de semblable à Paris, et je jure mes grands dieux que ce fut la dernière occasion aussi (enfin, je crois).

A vrai dire, je n'ai pas de souvenir précis de ce défilé, à l'endroit où je suis saisi par le ou la photographe. Je me rappelle toutefois un départ de Fête-Dieu, au bas du Boulevard de Courcelles, devant la maison du docteur Hermon ou près du Calvaire. En fait, je ne connaissais pas beaucoup des enfants présents et les bonnes soeurs étaient un peu énervées à mettre ce petit monde en branle...

C'est de cette même Fête-Dieu, sans doute, que sort donc la photo que voici :



J'ai vraiment de la chance, car mon petit corps tout blanc du dimanche se distingue bien sur la longue cape sombre de la bonne soeur ! Admirez mes chaussettes blanches et mes petites mains gantées de blanc aussi ! Certes, je fais la tête, mais je suis si jeune...Et puis les autres garçons n'ont pas de gants : pourquoi ?

On reconnaît bien sûr l'endroit : l'Economique au fond, à l'angle de la place de l'Église, permet de se situer parfaitement. D'après l'ombre portée et l'éclat des façades, on est sans doute en fin de matinée.

Nous sommes le 20 juin 1960, selon toute vraisemblance, j'ai trois ans et demi : des enfants marchent pour le bon Dieu, tenant la corde, dominés par une nonne belphégoresque à la silhouette d'évêque grec orthodoxe.

Par le plus grand des hasards, ma mère me parlait ce matin de la famille Cochetel, les sabotiers de la rue de l’Épée. Et là, sans que je la sollicite, elle se met à dévider des souvenirs de l'entre-deux guerres.

Elle parle en regardant au loin par la fenêtre (c'est par là, à l'horizon, que se trouve le pays des souvenirs) des filles Cochetel qui avaient des cheveux si beaux qu'on les prenait toujours pour faire les anges à la Fête-Dieu. Nous y revoilà.

De fil en aiguille, son souvenir glisse sur la "mère" Cochetel dont elle parle avec respect. Une fille Nael dont les parents tenaient le café sur la rue de Beslé, celui où l'on s'arrêtait après les enterrements (le café Paillaud - PaillAo en patois - où madame Paillaud m'offrait des grenadines, elle qui éclatait de rire sans cesse). 

Elle me parle d'une "intellectuelle"....Une anecdote s'en suit : ma Grand-Mère Gustine travaillait à droite à gauche, lavant le linge pour Christiane à La Hyonnais, servant chez l'épicière, aidant dans les familles. Peu la déclaraient et sa situation était embrouillée au regard de l'Assistance Sociale...Et c'est la "mère" Cochetel" qui avait entrepris de l'aider à démêler ses affaires. Le monde solidaire est petit.

Elle eut bien de la misère, cette femme, si l'on en juge par ce qu'écrit son fils Léandre dans son roman "Pourquoi m'as-tu abandonné ?", et bien du mérite aussi, d'après ce qui se dit (et se lit) de la bonne éducation de ses enfants.

Je ne sais pas qui sont les enfants qui marchent dans les rues de Guémené sur la photo, en principe sur des pétales de roses, les angelots du bon Dieu mobilisés pour une cause qu'ils ne comprennent pas, enfants soldats du Christ. Mais j'ai un peu l'impression que la belle histoire de la Fête-Dieu, c'est, du coup, l'histoire révélée de la bonté de madame Cochetel pour ma Grand-Mère Gustine.

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