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dimanche 6 octobre 2013

Les Pieds nickelés à Massérac


Il ne devait pas se passer grand-chose dans les campagnes dans les années 1930, misère mise à part. Ni d'ailleurs à la rédaction de Ouest-Éclair. En tout cas, c'est l'impression que donne la couverture par ce journal d'un vol survenu à Massérac le 6 février 1933.

De quoi s'agit-il ? Deux gamins de Guémené, Louis Guérin, 22 ans, manœuvre sans domicile fixe et Eugène Lebreton, 17 ans, domestique à la ferme de La Cavelais, ayant soit-disant subis plusieurs condamnations (et étant donc connus des services de police, selon l'expression consacrée), déambulent désœuvrés dans le bourg de Massérac.

Ils avisent la chapelle Saint-Benoit et profitant de la solitude des lieux, cassent le tronc. Pas de chance, il ne contient que 40 centimes. Ils quittent les lieux sans s'apercevoir, dans leur dépit, qu'au pied du réceptacle à offrandes 1 franc 25 sont tombés par terre...


La couverture de l'affaire par Ouest-Éclair est marquée au coin de l'exagération : ce sont les termes employés, les adjectifs, la complaisance littéraire dans laquelle paraît se vautrer le journaliste qui relate les faits...Cette aventure d'un Ribouldingue et d'un  Filochard de campagne prend tous les dehors d'une affaire sérieuse. Voyez vous-même ci-dessous (je mets les extraits des articles en italique).

D'abord, c'est une grosse affaire, par la malignité des malfaiteurs : "d’adroits malfaiteurs [ont] fracturé un tronc et pris la poudre d’escampette sans être inquiétés".

Mais aussi par l'ampleur et la qualité des moyens mis en oeuvre pour la résoudre : "La brigade de Saint-Nicolas de Redon, au cours de l’enquête serrée qu’elle avait ouverte dès l’annonce de l’événement, eut des présomptions."  et "...les gendarmes de Guémené-Penfao, prévenus par leurs collègues ...réussissaient à rejoindre nos deux lascars."

Ces deux énergumènes sont évidemment de mauvais sujets puisque ils sont réprouvés par l'opinion publique de Guémené : "Guérin et Lebreton avaient acquis dans le pays une réputation déplorable. Lebreton surtout était fort mal considéré." Et d'ailleurs ce dernier, confronté à l'hostilité des braves gens à son égard envisageait une rupture radicale : "Il avait décidé en dernier lieu de s’engager pour 5 ans dans la Marine."

Les gendarmes de Guémené doivent utiliser les grands moyens face à ces "lascars" qui se défendent avec vigueur des imputations qui leur sont faites : "Guérin et Lebreton protestèrent énergiquement de leur innocence. Néanmoins, on les conduisit au bureau de la caserne." Le "néanmoins" du début de phrase est suave et a un petit côté théâtral : comme si les choses avaient pu se passer autrement !


Face à deux voyous aguerris par des expériences précédentes, les gendarmes doivent mettre la pression pour obtenir des aveux : "Les détrousseurs [...] n’avouèrent qu’après un long interrogatoire." ou encore : "Leur interrogatoire dura jusqu'au crépuscule. A la fin, de guerre lasse, les vauriens se mirent à table."

Le procès-verbal de l'interrogatoire tel que réécrit par Ouest-Éclair permet de revivre les faits comme au cinéma ou au théâtre :

Premier acte : "Profitant de ce que l’église de Massérac était déserte, et flairant la bonne aubaine, ils s’étaient introduits dans le sanctuaire. Leurs regards s’étaient posés tout de suite sur le tronc de la chapelle Saint-Benoit, qui ne paraissait pas d’une solidité à toute épreuve. Avec une impatience fébrile, Guérin s’était attaqué au coffre, tandis que Lebreton surveillait les issues. Enfin le portillon céda. Immédiatement, le manœuvre plongea ses mains dans le trou béant."

Second acte : "Hélas ! le tronc, en fait de trésor, ne contenait que huit sous. Rageur, Guérin glissa les pièces de monnaie dans une poche de son veston et les deux gamins ne songèrent qu’à fuir. Dans leur précipitation, ils ne remarquèrent pas qu’une somme de 1 fr 25 se trouvait déposée au pied du coffre éventré."

Evidemment, malgré la médiocrité objective du larcin, les choses ne purent en rester là : les malfrats sont déférés à la Justice. Le théâtre continue : "Les deux prisonniers sont arrivés vendredi dans l’après-midi à Saint-Nazaire. Encadrés par les gendarmes de Guémené-Penfao, ils se sont rendus au Palais de justice où ils furent entendus dans la soirée et à une heure assez tardive par M. Lelièvre, juge d’instruction."

Evidemment aussi, ce juge d'instruction ne rigole pas : les deux bandits sont poursuivis pour leur méfait (poursuivis par Lelièvre : pas moyen d'y échapper !).

Et Ouest-Éclair nous fait bien sûr participer à l'audience de leur procès.

Les vauriens n'en mènent pas large : "...Guérin et Lebreton, dont toute la vitalité semble s’être concentrée dans les yeux, restèrent sans souffle et sans voix." 

Par leur aspect extérieur, ils offrent le spectacle du voleur rural, modèle miteux mais presque sain par rapport à son alter ego urbain dégénéré qui semble faire horreur à Ouest-Éclair : "Vêtus chichement, le visage pâle et défait, ils n’ont rien de ces éphèbes gominés, rusés, parlant un langage fleuri qui, à l’occasion, ne dédaignent pas de prélever sur les fonds du culte l’argent nécessaire à leur vie tumultueuse et désarticulée."

Et d'ailleurs, le journaliste rapporte un fait du procès qui atteste chez l'un des deux inculpés de la présence assez saine d'une certaine valeur morale : "Guérin, bravement, a reconnu qu’il avait joué le principal rôle. Alors que son ami surveillait les alentours, lui, en deux coups de poing, autopsiait le coffre recommandé à la charité des fidèles." (charité mesurée : 40 centimes !)

La plaidoirie de la défense est forcément réduite à ma portion congrue car les faits sont indéfendables. L'avocat tente quand même le coup, mais bon : "M° Pajeot, assiste les jeunes malfaiteurs. L’avocat fait ressortir l’état de Guérin, qui est fils naturel et seul dans la vie."

Face à ce crime abominable, la main de la Justice ne trembla pas : "Le tribunal condamne Lebreton et Guérin à un mois de prison chacun. Il avait répondu auparavant que Lebreton, mineur, avait agi avec discernement." C'est bien le moins.

Le journal régional ne consacre que trois mots au mobile du crime, et c'est dommage (quoique suffisant, on va le voir) car c'est évidemment l'information la plus importante et celle qui montre en quoi ces deux petits gars étaient bien des gars de Guémené.

Car s'ils ont pillé le tronc du bon Saint-Benoit, c'est parce que : "Ils avaient soif." Circonstance atténuante...

3 commentaires:

  1. Bonjour
    Si on en croit l'outil de conversion du bon site France-inflation le montant du crime abominable serait aujourd'hui de 26 euros, et la munificence totale des fidèles de 106 euros.
    C'est confirmer sans hésitation l'importance du sujet et l'autorité de la justice.

    http://france-inflation.com/calculateur_inflation.php

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    1. Bonjour et merci de cette précision : mais je suis saisis d'un doute et je me demande si ce n'est pas 100 fois moins d'euros dans la mesure où la somme paraît dérisoire déjà à l'époque ?

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  2. en tout cas, quelque soit la somme, ce n'est pas non plus le casse du siècle ! mais cela reste un bel exercice de style ... peut être que le pigiste briguait un CDI à Ouest Eclair !

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