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samedi 8 février 2014

La vilaine !


J'ai déjà mentionné dans un post ancien les réticences du curé du Guémené, en 1940, à enterrer religieusement mon grand-oncle François, le frère de ma grand-mère Gustine.

L'animal avait eu le front de tomber à la renverse sur le Boulevard, au sortir d'une soirée d'adieu (arrosée sans doute) chez un vieux copain, alors que le Gouvernement venait de l'inviter à partir sauver la France.

Ayant sans doute assidûment étudié Freud en complément de son bréviaire, ce prêtre y voyait un acte manqué, une désertion face à l'ennemi, bref, un suicide.

Il n'est pas impossible que son confrère de Beslé ait été fait du même bois dont on fait les idiots. Car certains auteurs ont déjà noté, de ce point de vue, une forme de congénitalité soutanesque.

Il est donc probable qu'Ernestine Lechat, femme Provost, n'eut pas, en ce mois d'octobre frisquet de 1928, les honneurs de l'absoute.

Le cercueil traversa le bourg, suivi de quelques voisins compatissants et de Maurice, le mari, pour rejoindre le cimetière. Après quelques pelletés de terre sur la défunte et quelques poignées de mains pour le veuf, on partit pour un vin d'honneur dans le bistrot, où, ensemble, Maurice Provost et feu Ernestine avaient œuvré depuis quelques temps.

Quelques jours plus tôt, Maurice Provost s'était étonné de ne pas voir son épouse à la maison, à l'heure du souper. On peut imaginer qu'il ne s'en inquiéta guère, retenant malgré sa préoccupation la possibilité d'une course chez une amie, une voisine, une parente...

Comment lui faire des reproches, d'ailleurs, tant son mal empirait, tant la souffrance torturait son corps et son esprit. Le cancer du sein droit dont elle était affligée ne lui laissait plus désormais aucun répit, ni le jour, ni la nuit.

Les docteurs ne disaient rien de bien encourageant. Il aurait fallu - mais c'était déjà il y a longtemps - procéder, comme c'était l'usage, à une lourde opération : ablation totale du sein, des nodules axillaires et des muscles de la poitrine. Mais à 62 ans à quoi bon, Ernestine n'avait pas souhaité affronter cette épreuve destructrice. Quelques rayons avaient bien été tentés, mais cela n'avait pas réglé le problème.

Sur le tard, la préoccupation de Maurice tourna à l'inquiétude. Muni d'une lampe, il se mit à la recherche de sa femme dans la nuit froide. Il erra dans le bourg, approchant les maisons où aurait pu trouver refuge l'infortunée malade. Il ne rencontrait bien souvent que porte close et poursuivait son errance.

Pensant au pire, il descendit vers le port, passa devant l'hôtel où il entra s'enquérir en vain. Il commença de scruter la Vilaine sombre et à crier le nom de sa femme. Le vent emportait sa voix, mais aucun écho ne lui répondait.

Il remonta vers le pont et descendit vers la gare, déserte. De ce côté-ci non plus, la pénombre ne lui livra aucun indice.

Seul, hagard et sans ressource, Maurice Provost se résigna à retourner chez lui, taraudé par le secret espoir d'y retrouver son épouse. Mais après avoir fait le tour du débit de boisson et de leur logement, il dut se rendre à l'évidence de sa solitude.

Le reste de la nuit fut long. A la première lueur du jour, il reprit sa recherche, le pressentiment chevillé au corps que l'exploration des berges de la Vilaine lui délivrerait le fin mot de cette disparition.

Il refit donc le trajet vers le pont, repassa devant l'hôtel et puis redescendit vers le port. Au bout de quelques dizaines de mètres, il avisa un paquet sombre dont il comprit presque instantanément qu'il s'agissait d'une forme humaine et, par une de ces fulgurances qui caractérisent ces moments, que c'était celle d'Ernestine.

Il était probablement passé tout près lors de sa première exploration nocturne. Le corps émergeait de l'onde, là où la profondeur du fleuve n'atteignait pas un mètre quarante. Un châle noir recouvrait la tête de l'infortunée.

Maurice Provost se garda bien de tenter de retirer le corps. Il s'en alla bien plutôt chercher l'aide de son voisin monsieur Després. Un commerçant zélé, monsieur Houguet et l'adjoint de la Mairie de Guémené pour Beslé, monsieur Mercier, se joignirent bientôt aux deux premiers et vinrent extraire le cadavre de la rivière. Quelques temps après, le docteur Coyaud, accouru sur les lieux, constata le décès de celle qu'il connaissait bien.

La veille au soir, à la nuit tombée, la pauvre femme s'était approchée de la Vilaine et s'y était engagée. Le froid de l'eau lui avait saisi les jambes. Progressant avec difficulté, elle s'était arrêtée au moment où le liquide létal lui arrivait presque au cou.

Alors, répétant le sacrifice antique d'Antinoüs, Ernestine s'était agenouillée sur le lit du fleuve, dans le suprême effort de sa vie pour en finir avec ses tourments.



La petite troupe attristée du mari et des voisins resta sur les bords du fleuve pendant un moment, jusqu’à ce que la gendarmerie de Guémené vienne faire son enquête.

Visiblement, Maurice Provost fut sermonné par la maréchaussée. Pourquoi diable n'avait-il pas sorti la victime du fleuve quand il l'avait avisée pour la première fois (elle n'était peut-être pas morte, après tout !).

L'idée d'un assassinat affleura l'esprit suspicieux des pandores, mais chacun témoigna que le couple Provost s'entendait bien. Sans doute s'étonna-t-on du geste de la pauvre femme et on suspecta sa moralité, car le journaliste d'Ouest-Éclair se sentit obligé de préciser que "Mme Provost...appartenait à une excellente famille"...

Et puis, pour l'édification de ses lecteurs, ce folliculaire "occidentalo-fulminant" élucida le premier mouvement de fuite du mari lorsqu'il eut découvert sa femme noyée.

Il fut en effet, selon lui, "l’esclave de cette déplorable coutume qui veut qu'on ne touche pas au corps d'une désespérée - même s'il est encore en vie - avant l'arrivée de la maréchaussée".

Ah, ces campagnards sont vraiment des primitifs...

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