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samedi 15 mars 2014

Virginie Collette


Les bonbons sont comme les gouttes de résine qui recouvrent des objets ou des insectes, et qu'elles préservent à jamais : ils fixent durablement les souvenirs des enfants.

Je ne sais pas si je me souviendrais aussi nettement de Julien Daniel sans cela. Ce n'est pas tant son magasin au nom plein d'exotisme ("les Docks de l'Ouest") à l'angle de la rue de l'Eglise qui reste dans ma mémoire que ses tournées dans la campagne jusque chez nous.

L'arrivée de sa camionnette-épicerie dans notre village de la Hyonnais était un petit événement. Je serais bien en peine de dire quel modèle ce pouvait être (peut-être un fourgon Citroën type H ?), mais ce n'était pas là l'essentiel.

Le service se faisait par derrière : une porte se relevait à mi-hauteur et une sorte de comptoir apparaissait : une planche de contreplaqué posée en travers du véhicule. Les parois intérieures de la fourgonnette étaient tapissées d'étagères où se trouvaient les produits.

Dans cet espace s'encadrait la grosse carcasse singulière de Julien Daniel. J'en garde le souvenir d'un homme peu souriant, aux joues couperosées et à la voix traînante et grave. J'étais frappé par son accoutrement : sa salopette marron impeccable, sa casquette, ses lunettes. Il m'évoquait mon père - en moins marrant - ou peut-être Léon Zitrone qu'on voyait à la télé le dimanche (un modèle Arphone !), à Paris.

Nous, les enfants, accourions dès qu'il se présentait : le comptoir nous arrivait au niveau des yeux et au-dessus l'épicier nous dominait de toute sa hauteur et de celle du véhicule. Ce géant peu aimable allait prendre, avec ses gros doigts, un bonbon dans un sachet - et nous le donner. C'était un rite.

Une fois de plus, Guémené était magique : ce n'était pas à Paris que j'aurais vu un marchand venir à la maison, ni même me régaler de sucreries.

Satisfaits, nous repartions jouer dans les champs, tandis que nos parents, Grand-mère Gustine, sortaient tranquillement des maisons, porte-monnaie et liste des courses en main.

Bientôt la camionnette s'éloignait vers d'autres "écarts", sous le soleil, dans la poussière de l'été.

Ces souvenirs datent des années 60. Mais ceux qui suivent datent d'une génération d'avant, de celle de ma mère jeune, à Guémené dans les années 20 et 30, quand elle traversait le bourg pour revenir de l'école Sainte-Marie là-bas sur la route du Grand-Fougeray, pour regagner son village de l'Epinay, quatre kilomètres plus loin, ou bien le dimanche, quand elle sortait de la messe.

Dans les deux cas, elle pouvait passer devant la petite boutique de l'épicière qui jouxtait le ferblantier Ménard dans la rue de l'Eglise, non loin de la ruelle qui mène à la rue de Mirette et même du magasin qu'exploiterait plus tard julien Daniel, et s'extasier devant sa vitrine exiguë où l'on avait disposé des rouleaux de réglisse à faire rêver.




Car en ces temps de pauvreté, comment se payer ces sucreries à deux sous ? Même quand à l'Epinay on souhaitait au voisin, le Père Philippe (prononcer : "Flip"), sa fête ou la bonne année et qu'on récupérait un gros sous, on s'empressait de le donner aux parents.

Il y avait donc un endroit à faire rêver les enfants pauvres dans le Bourg, en ce temps-là : il s'agissait de l'échoppe tenue par Virginie Collet, que les enfants appelait la Collette.

C'était une bien brave femme déjà un peu âgée et coiffée en chignon.

Fille d'un journalier, Virginie Piton était née en 1864 (il y a un siècle et demi !) à Thourie à quelques kilomètres à l'est de Bain-de-Bretagne. C'est de cette dernière bourgade qu'était d'ailleurs originaire son mari, Julien-Marie Collet.

On les trouve tous deux comme domestiques au château de Juzet en 1896. Ils se marièrent cette année-là, fin septembre, à Guémené.

De cette union naquit trois enfants : Yvonne, en 1898 ; Julien, en 1900, et Virginie, en 1905. C'est sans doute entre 1896 et 1898 que les Collet s'installèrent rue de l'Eglise et que s'ouvrit la minuscule épicerie.

Le mari garda son emploi de "garçon de chambre" au château de Juzet jusqu'à sa mort en 1922. Les filles Yvonne et Virginie ne poussèrent pas leurs existences bien loin : Yvonne mourut en effet en 1917 et Virginie en 1934.

Le fils Julien paraît avoir survécu à la Mère Collette qui s'éteignit le 11 avril 1939 en son logis du bourg, à l'âge de 72 ans.

A l'époque de cette mort, ma mère avait quitté Guémené, et même Nantes, pour tenter sa chance à Paris, nourrie des rêves d'une réussite (passer le concours des Postes...) bien éloignée des rêves de bonbons.

Aujourd'hui, dans la dixième décennie de sa vie, elle a sans doute oublié le concours des Postes sans regret : mais pas tout à fait les bonbons de la mère Collette, à la devanture de la petite épicerie de la rue de l'Eglise.

1 commentaire:

  1. Merci pour ces savoureuses histoires de Guémené Penfao. Mon nom de jeune fille est Dominique Durand. Je suis la petite fille de Jean Piton (que je n'ai pas connu car il est décédé à l'âge de 38 ans) et de Germaine Piton qui habitait rue de Beslé. Virginie Collet (Piton) est donc mon arrière grand tante. Merci encore pour ces détails qui ajoutent un peu de vie à ma généalogie. (malgré quelques erreurs pardonnables ... Virginie Piton est née en 1866 - décédée le 15 avril 1939 - Yvonne est née en 1897 - et Julien en 1899 ...) Je suivrai avec grand plaisir l'évolution de ce blog et surtout transmettrai à ma mère et ma tante toutes ces archives vivantes et enrichissantes de Guémené Penfao

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