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dimanche 9 juin 2013

La boulange est dans le pétrin


On ne peut pas dire que les annales révèlent un Guémené traversé de conflits sociaux particulièrement marqués. On y trouve en revanche bien des femmes battues, des suicides de la misère, l'alcoolisme..., bref, les formes habituelles dans lesquelles l'impuissance à changer un quotidien misérable conduit hélas bien des pauvres gens à se réfugier.

Aussi, ce n'est pas sans étonnement que l'on découvre une véritable tension au sein de la société guémenoise soumise, dans les années 30, à la détresse économique et sociale qui pèse sur l'ensemble du pays.

Visiblement, en septembre 1935, les maires du département avaient reçu un courrier du Préfet leur enjoignant de prendre des mesures pour que les prix du pain et de la viande soient maintenus à un niveau raisonnable pour la population.

Apparemment, la lettre préfectorale (dont on ne connaît la teneur qu'indirectement), invitait les maires à la négociation avec les boulangers et les bouchers (ou charcutiers) de leur commune.

A Guémené, il y avait six bouchers, cinq charcutiers et quatre boulangers dans les années 30 ou 40.

Pour les bouchers, deux opéraient place de l'Eglise : Joseph Haméon et Pierre Moquet ; deux également rue de la Poste : Préchoux et Léon Gourdin. Enfin, Honoré Boismain servait Place Simon (là où se trouve l'actuelle crêperie) et Taillandier, rue de l'Hôtel de Ville.

La gente charcutière quadrillait également le bourg à sa façon. Ainsi, Victor Jarnot et la Veuve Menuet tenaient chacun un bout la Place de l'Eglise, tandis que Jean Poupon officiait rue Garde-Dieu. Pour sa part, Zacharie Plumelet cochonnait rue de Beslé et Morineau (dont on dit qu'il restaurait les incarcérés de la prison) œuvrait dans la rue de Redon.

Les tueurs de bœufs et de cochons sont des tendres. Le Maire de Guémené n'eut ainsi aucun mal à trouver un accord sur les prix avec ces braves gens, en s'appuyant simplement sur le cours des bêtes sur pied.

La boulange avait, en revanche, un peu de mal à sortir la tête du pétrin.

Tardif, rue Garde-Dieu ; Hamel, rue de l'Hôtel de Ville ; Houllier, Place Simon et Morisson, rue de la Chevauchardais, avaient d'abord trouvé à s'entendre avec le Maire et les prix étaient même paru dans la presse.

Mais ces braves gens se ravisèrent et vinrent, la gueule enfarinée, exprimer que ben voilà...après tout... la vie est chère, quoi...qu'ils ont des frais, une famille, des dettes...et, ayant fait volte-face, s'opposèrent à la mise en oeuvre de ces prix.

Passée une incompréhension bien naturelle face à cette résistance inopinée, la réaction du Maire de Guémené ne se fit point attendre et fut à la hauteur de l'enjeu. Ceint de son bon droit et de son écharpe, il soumit à son Conseil municipal une proposition empreinte d'une résolution tout à la fois mâle et profondément sociale.

D'abord, le prix du pain serait taxé : de 2 francs 20 à 2 francs 40, le pain de trois livres, selon le prix des farines.. Bien fait !

Mais bien sûr, on n'était pas à l'abri d'une grève. Oui, vous avez bien lu : des commerçants qu'on croyait honnêtes, auxquels nos grand-parents et nous mêmes firent confiance, prêts à affamer le peuple de Guémené !

Aussi le maire de Guémené proposa-t-il à son Conseil d'adopter une disposition radicale afin de circonvenir la rébellion des enfarinés et permettre au peuple guémenois de se nourrir : en cas de grève des boulangers ou de refus persistant d'appliquer les prix taxés, il proposait d'en appeler à l'épargne des "concitoyens" pour réunir des fonds permettant de créer des fours de coopérative. Le Communisme, quoi.

Le Conseil (à un vote contre près) suivit son maire et Guémené fut bien à deux doigts de devenir le Pétrograd (ou, si j'osais : Pétrin-grad...) des Soviets, en pleine Loire-Inférieure.

Car il n'en fut heureusement rien et, sans doute impressionnée par la fermeté municipale, après quelques verres de cidres et un bon coup de gnôle probablement, la boulange rentra piteusement dans son fournil.


Cette histoire me désole un peu. J'aimais bien les Tardif, ceux des années 60, auprès de qui le dimanche, après la Grand-Messe, on achetait des gâteaux laqués de sucre, pleins de crème et ornés de fleurs de confiserie et d'angélique que nous servait une de leurs dames maquillée et coiffée, en tablier et joues roses.

Bien loin des tumultes de l'histoire, même communale, on remontait à pied avec Grand-mère Gustine et Ma-Tante-Madeleine-qui m'a-élevé, le Boulevard, derrière l'église, portant, dans un petit emballage cartonné entouré d'un ruban étroit, le précieux dessert qui ferait la joie de notre dimanche.

2 commentaires:

  1. Ces gâteaux étaient (en partie?) confectionnés par mon oncle Jean qui était ouvrier à l'époque chez les Tardiff. Ils habitaient au dessus de la boulangerie. L'odeur du pain , le matin !!! Un régal!

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