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dimanche 7 octobre 2012

Grand-mère 105 ans ?


Quand ma Grand-mère Gustine a eu 100 ans, l'un de mes jeunes fils utilisait l'expression "Grand-mère 100 ans", comme s'il s'agissait d'un nom.

J'ai retrouvé l'extrait de journal ci-dessous qui évoque sa 105ème année, paru quelques mois avant sa disparition puisqu'elle n'atteignit pas les 105 ans, et qui sent le Ouest-France à plein nez.

Y-a-t-il un mérite à vivre plus longtemps que tout le monde ? Voilà me semble-t-il la première question que pose ce petit texte.

Pourquoi faut-il attendre tant d'année pour connaître la vie des gens qui vous sont proches ? Voilà la seconde question que soulève les éléments biographiques précis que j'ai parfois découverts à sa lecture.



Au moment où paraît cet article, Grand-mère Gustine est bien fatiguée et peu consciente. Les quelques fois où je l'ai vue alors, dans sa chambre de la maison de retraite de la Grée-Caillette, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, un paquet humain, bien loin de la gaillarde vieillarde qui pratiquement au même âge lisait son journal sans lunettes et dont l'oeil pétillait à l'arrivée d'une visite. Non, l'oeil ne pétillait plus du tout.

Peut-être, je ne sais, y-a-t-il une forme d'exploit à survivre aux épreuves de la vie : à la pauvreté, à l'absence d'hygiène, à l'alcoolisme ambiant, à la guerre, aux accouchement répétés...

Mais je crois que deux choses ont fait sa longévité : la chance de disposer de la santé jointe à un entrainement du corps par un travail physique, prolongé et intense (travaux des champs, travail de lavandière, garde d'enfants, ...) ; et, par ailleurs, l'insouciance du monde.

Si l'on a peu de mérite à devoir travailler et à éviter les maladies, il y a certainement une forme de philosophie pratique de la vie qui l'a préservée de tout. Lire les morts du jour dans le journal, causer avec son amie Bertine en sirotant des cerises à l'eau-de-vie (caouseu u-m' ptit), regarder les chansons à la télé, prendre son bonbon du soir, tartiner son camembert avec du beurre salé, écrire les cartes de bonne fête aux petits-enfants en scotchant un billet...Le monde et son agitation ont glissé sur elle, comme elle a glissé sur le monde qui n'était au fond qu'une vague sur laquelle il suffisait de surfer sans effort intellectuel.

Cette apathie au monde, cette absence de révolte et de réflexion critique, ce renoncement et cette soumission aux lois même les plus communes, sont assez éloignés de ma façon de penser. Grand-mère Gustine, comme bien des femmes et des hommes de son époque, n'est sous ce rapport pas un exemple pour moi.

Je ne peux pas dire non plus que j'ai beaucoup parlé avec elle en dépit des 43 années de recouvrement de nos existences : je serai même en peine de rapporter un seul souvenir de cela. Elle ne m'a transmis aucune tradition orale, aucun souvenir familial. Mais il suffit qu'elle soit Guémené pour moi, et elle le sera toujours, pour quelques balades dans les chemins creux de l'époque où, dans un panier d'osier à anse, nous ramassions de "l'herbe pour les lapins".


Le chroniqueur local qui a écrit l'article biographique ne connaissait probablement pas ma famille, et pourtant l'un ou l'autre de ses membres, ma mère peut-être, est allé lui narrer la vie de ma grand-mère, leur vie d'antan, sans rien cacher. Mais quant à moi, on ne m'a jamais rien raconté ! Les familles vivent dans le présent et abolissent parfois le passé comme s'il devait gêner ce présent.

La réalité est souvent sordide, mais c'était l'époque plus que les gens : mes grands-parents n'étaient pas des paysans purs, en somme. Elle, était née au bourg près de la Place Simon de parents qui, fait original et dont on se demande ce qu'il cache, se séparèrent ; lui, avait travaillé comme cocher et avait quitté le pays avant que la guerre de 14 ne le happe.

Puis, il fut employé un temps à la minoterie Lucas aujourd'hui disparue, dont les bâtiments imposants toisaient le vélodrome. Il devait y porter des sacs.

Ils se marièrent dans l'après-guerre, à son retour de captivité. Il en revint traumatisé ainsi que par les horreurs de Verdun où il fut fait prisonnier. Il subit l'hostilité sourde que les veuves, les orphelins et les bonnes gens accordent aux survivants. Il finit sa vie prématurément dans l'alcool et la solitude de l'Hôtel-Dieu de Nantes.

Ils prirent une ferme à L'Epinay où naquirent trois de leur quatre enfants. L'affaire périclita, la maison fut vendue sans doute, et ils atterrirent à La Brûchais de sinistre mémoire (pour ma mère, mais je ne sais pas pourquoi). Puis enfin La Hyonnais où ils vinrent s'entasser avec mon arrière grand-mère Françoise, son chien Papillon et son fils !

En fait, mon grand-père n'a été longtemps qu'un grand portrait souriant et estompé de militaire à moustache, trônant au-dessus du lit de coin de ma grand-mère. On l'époussetait de temps en temps comme on remonte de temps en temps la grande horloge à balancier.

L'autre élément palpable de sa présence a toujours été le chagrin ambivalent qui semblait étreindre ma mère à son évocation. Pas de tombe au cimetière de Guémené. Pas d'hommage à la Toussaint. Le mystère de sa vie et surtout de sa mort était entier. Tant et si bien que j'ai fini par me demander quel acte honteux il avait bien pu commettre pour être ainsi banni des mémoires, des discussions, du cimetière.

Et puis j'ai fini par retrouver sa tombe dans les registres en ligne des décès à l'Hôtel-Dieu de Nantes. Persuadé qu'il avait été enterré dans une fosse commune (ce qui aurait pu constituer, d'un certain point de vue, l'élément honteux de l'histoire), je suis allé au cimetière de son inhumation retrouvée, au petit cimetière St-Jacques de Nantes. J'ai cherché, sous le soleil, le carré J, le rang 4, la fosse 21. Il est probable que j'ai trouvé l'emplacement (photo ci-dessous) : mais pas de Julien Aimé Legendre.



En fait, il fut sans doute enterré dans une tombe normale dont la concession vint à son terme et ne fut pas renouvelée. Ses restes sont dans un ossuaire, autant dire nulle part. Paix, ce n'est pas grave.

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