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dimanche 26 mai 2013

Au Douard et à l'oeil


L'hôtel de l'Union à Beslé entre dans le système des points de repère de mon enfance. J'en garde en particulier le souvenir d'une sortie familiale, par une journée d'août de la fin des années 60 : mes parents, mes cousines, leurs parents, ma grand-mère et "Ma tante-Madeleine-qui m'a élevé".

Une video, déjà postée sur ce blog, nous montrant tous endimanchés dans les jardins de cet établissement, mon père roupillant sur la pelouse, immortalise ce moment.

J'ai dû y retourner une fois bien plus tard, ayant la vague impression d'y avoir dormi, mais je confonds peut-être avec "le Chalet", à Guémené.

Ce qui est sûr, c'est que mon passage familial n'a pas donné lieu à ce que la presse s'empare de l'événement, contrairement à l'épisode que je vous propose aujourd'hui pour lequel j'ai beaucoup emprunté à l'article de Ouest-Eclair qui relate l'histoire.


Nous sommes dans les années 30, 1933 ou 1934. Un beau jour, une belle Talbot (photo) toute rutilante s'arrête devant l'hôtel de l'Union, à Beslé.


L'homme qui la conduit sort, botté, la casquette à la main. Il va ouvrir la portière arrière de la sublime auto. Une femme élégante s'en extrait. Elle reste près du véhicule et apprécie la situation en connaisseuse. Son regard circulaire embrasse l'église de Beslé et les maisons du carrefour dont les occupants commencent à sortir, intrigués :

"- Bon d'là en v'là-t-i' du cas, 'core ! Qui ça peut ben être ?..."

La jeune femme donne le bras à un personnage plus âgé, vêtu avec recherche, une écharpe de soie blanche négligemment posée sur le col. Le régisseur chauffeur, à nouveau casquetté, s'empare des bagages et la troupe pénètre dans l'hôtel.

Madame Douard, la patronne, est accourue afin d'accueillir ces hôtes de qualité. Elle termine d'essuyer dans son tablier ses mains rougies par le labeur et prie ce brave monde de bien vouloir se donner la peine d'entrer s'il vous plait.

Madame Douard, c'est bien connu dans la région, est une bonne hôtesse. Douce, modeste, charitable, elle a conservé dans sa maison les bonnes traditions de l’hospitalité française de jadis. Aussi son établissement a-t-il acquis une juste renommée, et les voyageurs, les touristes, les amateurs de pêche à la ligne, savent que chez Madame Douard ils trouvent un excellent menu et un charmant accueil.

L'hôtelière s'enquièrent des desiderata des nouveaux venus qui lui déclarent leur intention de passer deux jours à Beslé. Madame Douard attribue sa meilleur chambre au couple et, sur la demande pressante de l'élégante cliente, une chambre assez confortable au chauffeur.

Le registre est rempli au nom de "Harmant" et les voyageurs gagnent leur chambre.

Les deux jours passent, d'autres s'ajoutent : les riches hôtes semblent prendre plaisir à leur séjour et amusent de leur présence les populations autochtones.

" - C’est une comtesse », murmure-t-on. On dit que l'mari a été blessé à la guerre, c'est pour ça qu'il est complètement sourd : un obus..."

Et en effet, quand on s'adresse à lui, M. Harmant met sa main en cornet acoustique autour de son oreille, sans que jamais on arrive à lui faire entendre quoique ce soit. Pas même la douce Madame Douard, surtout quand elle lui parle argent.

Les semaines et les mois s'écoulent. Madame Harmant vantent à l'envie les charmes du pays, la bonté de la cuisine, l'affabilité des gens. Deux fois par semaine on va à Nantes. Le reste du temps est occupé par de joyeuses parties au bord de la Vilaine, dans les délicieuses cités des alentours et surtout en forêt du Gâvre. 

Madame Harmant adore stationner longuement devant le pavillon de chasse qui s’élève à la jonction de plusieurs magnifiques allées forestières, à six kilomètres de Blain. Madame Harmant qui aime beaucoup les chevaux, rêve d’être invitée à une de ces chasses à courre, organisées au Gâvre.

Ah ! elle ferait un bien belle amazone ! Dans le fracas des sonneries de cors, au milieu des hurlements de la meute déchaînée, elle poursuivrait, à la suite des châtelaines des environs, le cerf, telle une Diane de légende, à l’hallali !

Bref la compagnie s'amuse, bientôt rejointe par deux autres membres de la famille Harmant.

A Beslé, on suit avec une curiosité respectueuse le va-et-vient de l’étrangère.

De temps à autre, l’hôtelière, inquiète, vient réclamer son dû. Mais Madame Harmant lui montre  alors des lettres de notaire, alourdies d’impressionnants cachets, dans lesquelles on parle d’un fabuleux héritage. Mais cet héritage est malheureusement discuté par des « chicaniers ». Il faut, pour le toucher, attendre la fin des procès en cours. Madame Douard, à demi rassurée, n’insiste pas trop et consent même des avances à sa cliente qui paraît si raisonnable par ailleurs : car si la « comtesse » et son entourage savent apprécier les spécialités de l’Hôtel de l’Union, ils ne font point pour autant d’orgies de boissons. Et Mme Harmant a une conversation si distinguée, par dessus le marché.

Épilogue :

Bien entendu, la tribu disparut sans crier gare au bout de six mois de grivèlerie. Un message qui devait contenir de bien mauvaises nouvelles précipita cet envol. La note en souffrance atteignait 35.000 francs (environ 26.000 euros...).

Mme Harmant, alias la marquise Rolla de Rozincski, alias Claude d'Azy, alias Pola de Rosyeth, alias la Comtesse de Sommery alias etc.... s'appellait en réalité Renée Saffroy. C'était une ancienne danseuse nue du Ba-Ta-Clan, la salle de spectacles parisienne (photo) ...


Elle a écumé la province avec ses complices faisant de nombreuses victimes qui, à l'instar de Madame Douard - qui rime avec "bonne poire" -, se laissaient "embobiner". Peu de plaintes furent déposées, souvent par crainte du ridicule.

Renée Saffroy fut arrêtée dans l'Ain à la fin de 1935 et fut incarcérée à la prison Saint-Joseph de Lyon.

Madame Douard s'en remit.

La carte postale ci-après figure l'hôtel Douard et provient de ma petite collection. Elle est rédigée par une certaine Marie Provost qui travaille dans cet hôtel depuis trois jours quand elle l'adresse à ses anciens patrons. Elle y déclare qu'elle s'y plaît "très bien" mais que chez la douce Madame Douard, "la place n'est pas si douce" que celle qu'elle a quittée...


4 commentaires:

  1. Incroyablement romanesque cette histoire et à Beslé ! Si vous ne mentionniez pas la référence de l'Ouest Eclair,je me dirais que c'est de la pure invention. (La Talbot est magnifique !)

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    1. Que voulez-vous, la réalité dépasse toujours la fiction...

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  2. BONJOURS JE VOULAIS VOUS DIRE QUE L'hotel fait parti de ma famille et jai grandit dedans j'en garde des souvenir et jaimerais savoir ce que l'hotel es devenue maintenant merci coordialement

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  3. Bonsoir, le restaurant - de son dernier nom "Le parc de la Vilaine", est fermé depuis 4 ans. Du couple qui tenait l'établissement, le mari est mort il y a une dizaine d'années, mais la dame et ses enfants continuent de l'habiter.

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