Rechercher dans ce blog

samedi 22 décembre 2012

Noël d'une petit fille de L'Epinay


Il ne fait pas chaud du tout. Mais pour rien au monde il ne faudrait manquer la messe de minuit.

On laisse Grand-mère Legendre à la maison : elle est trop fatiguée. Et puis Monsieur le Curé est passé la confesser l'autre jour, et elle lui a dit que cette année elle ne pourrait pas y aller. Comme elle est très sourde, c’est sur une ardoise que le prêtre lui a concédé que ce n’était pas grave.

Dehors, le village s’ébroue dans la nuit parcourue d’un petit vent aigrelet ; quelques mots s’échangent et l’on se dirige vers la route de Redon, dans l’obscurité et la brume du Don, pour accomplir les 3 ou 4 km du village à l’église. Au fil de la marche, d’autres villages - le Port-Jarnier, La Nouasse, Orvault, le Pont de la Rondelle, le Pigeon Blanc...- se joignent de sorte que, aux abords du bourg, on finit par former une petite troupe.

Mots échangés furtivement. Des enfants emmitouflés, portés par des hommes, criaillent un peu. Personne n’a de lanternes et l’on patauge dans les flaques. La nuit finit par s’éclaircir par habitude de la pénombre. Les étoiles diffusent une légère teinte bleutée : Grande Ourse, Petite Ourse, Etoile polaire…

Au loin à l’horizon, une lueur roussâtre. Quelqu’un fait la remarque. Des vieilles chuchotent que c’est signe qu’il va y avoir une guerre. De fil en aiguille on se rappelle un Noël pas si loin, d’avant 14, où untel et untel, aujourd’hui disparus, marchaient pour la Sainte messe et non pour tuer des Boches.

Derrière les murs sombres d’une haute maison tintent les premiers douze coups de minuit. On hâte le pas vers la place où les passants glissent en silence pour s’installer dans l’église : des bouffées de vive clarté jaillissent au fur et à mesure des entrées.

Une fois dedans, en effet, la lumière de mille cierges inonde l’espace et éblouit. Les haleines fument. Un petit signe de croix machinal extrait du bénitier. On se reconnaît d’un léger mouvement de tête.

Les enfants veulent voir la crèche et  leurs papas donnent parfois un sous que d’un doigt gourd ils introduisent dans une figurine : le garçon noir en bois avale la pièce en hochant la tête de bas en haut, comme pour dire merci. On voudrait bien mettre un autre sous, mais bon, les parents n’en ont guère. Souvenir inoubliable.

Le petit Jésus visiblement n’a pas froid.

Tandis qu’on gagne sa place, le prêtre est entré par la sacristie et exécute une génuflexion, dos à l’assistance. Nobliaux et notables sont là dans leurs habits du dimanche et leurs manteaux de prix, aux premiers rangs derrière le prie-dieu à leur nom, comme il se doit.

Les hauts piliers sont décorés de bougies. C’est Noël, c’est la fête à Jésus.

Un couinement de l’orgue que des enfants de cœur en aube alimentent en vent, à grand renfort de gestes énergiques qui les réchauffent. Une voix de ténor retentit : c’est Edouard Barbier, le menuisier, qui entonne un cantique :

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois. »


Quelques vieilles et des enfants tentent de l’accompagner un peu, puis il reprend seul le premier couplet.

« Nous sommes des rois mages
Nous de pauvres pasteurs.
Nous t'offrons nos hommages
Nous te donnons nos cœurs. »

Les cœurs s’échauffent dans l’église froide. Les voix s’affermissent…

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois
. »

Des raclements de gorges, des toux et dans le bruit de chaises qui grincent sur le sol, Barbier élance son chant grave :

 « Prends-nous sous ton empire ;
Règne sur nos troupeaux
Prends l'or, l'encens, la myrrhe ;
Prends nos plus beaux agneaux. »

Les images de la nativité défilent. La fatigue est oubliée. Plus hardi, on reprend le refrain et le chœur gronde :

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois. »


Enfin Barbier, tout à son affaire, termine le cantique accompagné une dernière fois
par l’assemblée :

« Jésus, dans maints royaumes
Nous t'irons proclamer.
Jésus, sous d'humbles chaumes
Nous te ferons aimer.

Et les mages partirent
Tout joyeux du saint lieu ;
Et les bergers sortirent
En chantant gloire à Dieu. »


Le temps passe et l’office suit ses méandres. Enfin la messe est dite. Il va falloir regagner la maison dans l’obscurité de la nuit froide.

Quelques échanges sur le retour ; la troupe s’étiole au gré de la distance parcourue : le Pigeon Blanc, le Pont de la Rondelle, Orvault, La Nouasse, le Port-Jarnier... Il est bien deux heures passées quand on rentre enfin dans la maison. Par contraste, il y fait presque bon. Mais le feu est éteint. Grand-mère s’est assoupie.

Un Jésus en sucre, une orange, une chemise ou une culotte. Voilà les cadeaux des enfants pauvres.

 Grand-mère Jeanne-Marie Legendre
Née Guenet

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire