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samedi 1 décembre 2012

Un instituteur dépravé à Beslé


La lutte entre les "laïcs" et les "curés" est un sujet emblématique d'une certaine France de la IIIème République, à l'instar des démêlés entre Don Camillo et Peppone pour l’Italie d'après-guerre.

Il est sans doute difficile de mesurer aujourd'hui à quel point le débat était rude dans les campagnes catholiques françaises du dernier quart du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème.

Les échos que m'en délivre ma mère, pour ce qui concerne le Guémené des années 30 du dernier siècle, traduisent une violence et une prise en otage des enfants tout à fait inimaginables à présent.

La bagarre faisait déjà rage vers 1880-1890, moment crucial dans l'histoire de l'Ecole puisque se mettent en place alors les Lois Ferry dont un volet conduira à l'imposition d'une école publique laïque (c'est-à-dire débarrassée des Congrégations qui avaient réussi à envahir assez largement le champ de l'enseignement public de l'époque, faute de séparation de l'Eglise et de l'Etat). Nous ne sommes pas très éloignés de la période paroxystique de la lutte anticléricale dont l'apogée se concrétisera dans la politique radicale d'Emile Combes à partir de 1902.

C'est dans ce contexte historique qu'il faut comprendre l'épisode que je souhaite vous relater aujourd'hui, dont l'action a pour cadre notre bon Bourg de Beslé, en 1899, et qui tourne autour de la question âprement débattue de savoir si le fait que les instituteurs laïcs soient mariés régule leur comportement et si, à l'inverse, le voeu de chasteté des instituteurs religieux les voue à des débordements passionnels.

Comme souvent pour ce genre d'affaire, j'ai puisé à une source sainte, dont la parole empreinte de suavité religieuse est forcément d’Évangile : je veux parler du journal La Croix, édition du 28 février 1899 (on trouve reproduit exactement le même texte dans le Bulletin des Congrégations du 5 mars 1899).

L'article est en "une", ce qui donne la mesure de la polémique autour du comportement des enseignants, mal écrit et confus car rédigé de seconde main à partir d'articles de publications régionales (la Démocratie de l'Ouest et l'Espérance du Peuple).

Voici les faits :

Les autorités locales de Beslé (?) ont déposé une plainte auprès du procureur de la  République contre un instituteur de l'école publique de ce bourg du nom de Sorin, pour "outrages publics à la pudeur". Le pluriel à "outrages" en dit long.

On ne sait pas exactement ce qu'il a fait, car, sans doute, la vilenie de ses gestes pourrait heurter les prudes lecteurs du quotidien catholique. Mais ce qui est certain, c'est que ce personnage (dont je n'ai pu retrouver la trace) est un affreux récidiviste : La Croix, sûrement bien renseignée par le Saint Esprit, révèle ainsi que, dans un précédent numéro, elle avait eu l'occasion d'en dénoncer en toute charité "la conduite trop libre dans un hôtel voisin de la place du Commerce".

Ah si seulement l'administration, sortant de sa grande lâcheté complice habituelle, avait tenu compte des faits graves signalés par la feuille de choux calotine en son temps !

Et puis, cela faisait longtemps que les parents des enfants de Beslé se plaignaient, apprend-on. Mais poursuit le saint journal, "la justice, indulgente aux instituteurs laïques (sic), lui a permis de se sauver". Et du coup quand les enfants se sont pointés à l'école le samedi, plus d'instit'...

La chronologie des fait est d'ailleurs édifiante à cet égard.

Suite à la plainte des parents, les gendarmes rappliquent à Beslé pour interroger un enfant (témoin, victime ?), un mercredi.

Les balourds se gardèrent bien alors d'inquiéter le coupable (même s'il n'a pas encore été jugé...), certainement pour "lui permettre d'éviter le scandale par la fuite". Autrement dit : c'est un complot et les autorité républicaines sont de mèche dans le crime. Au point qu'on peut légitimement se demander avec La Croix : "le maire [de Guémené], qui est un ancien député de gauche, avait-il donné des ordres ?".

Poser la question, c'est un peu y répondre.

Voilà pourtant que l'instituteur finit par s'enfuir. Mais à nouveau, il faut y voir la marque de l'indulgence coupable des autorités.

En effet, suite à ces évènements honteux, les enfants du bourg furent retenus à la maison par leurs parents et boudèrent la classe. Ceux des villages vinrent, en revanche, comme à l’accoutumée.

Étonné de ces absences, l’instituteur Sorin s'en enquiert auprès d'un élève. Celui-ci lui répond que c'est parce que les gendarmes vont venir à l'école (mais on se demande bien pourquoi cela inquiéterait plus le petit besléen de la ville que le petit besléen des champs...). Sur la foi de cette indication, l'instituteur prit ses jambes à son cou dans la nuit même.

Le lendemain jeudi enfin, l'inspecteur d'académie arrive pour son enquête. Puis c'est le tour des fameux gendarmes, vers midi. Ces derniers s'installent tranquillement à l'hôtel, déjeunent leur saoul  puis, vers quatre heures, se rendent benoîtement à l'école. Bien entendu ils font choux blanc. Quelques temps ensuite, c'est au tour des magistrats de venir enquêter.

La conclusion qui s'impose, et La Croix ne nous l'épargne pas, est bien claire : on a "voulu laisser au coupable le temps de fuir" ! Il s'ensuit naturellement que "l'émotion est vive à Beslé et l'indignation très grande contre le maire de Guémené, M. Simon, et les autorités"

L'histoire ne dit pas ce qu'il advint de Sorin, s'il rentra dans l'ordre ou dans les Ordres.

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